Les conservateurs contre de bonnes voies de communication


Les deux plus grands obstacles historiques au progrès économique de la Grande île, sont probablement l’absence d’un système de transport et de communication, d’une part, et l’insuffisance de la main-d’œuvre, d’autre part. Selon Gwyn Campbell, ces deux problèmes sont intimement liés « parce que dans toute l’histoire de l’île, le transport des biens et des personnes a reposé presque exclusivement sur la force humaine » (« Omaly sy Anio », 2e édition de 1982). Le fait que l’on dépend entièrement des hommes pour assurer tout transport, pose un sérieux problème quand on se rend compte que le portage mobilise beaucoup de bras dans un pays où l’économie, fondée sur une riziculture intensive, est sans cesse menacée par la pénurie de main-d’œuvre. « La traditionnelle interdiction d’utiliser le ‘omby’, considéré par les Malgaches comme une bête sacrée, a été en grande partie abandonnée avant les premières décennies du XIXe siècle. » À l’époque, on travaille déjà le cuir et on exporte une quantité assez considérable de bœufs et de viande salée. Cependant, le recours aux bœufs pour le transport, reste très limité. Selon l’auteure, deux raisons expliquent cette situation, qui sont liées à la structure impériale merina du XIXe siècle. Il n’existe à Madagascar aucune autre bête de trait que le « omby ». La dépouille est généralement consommée avec la viande jusqu’à l’arrivée des premiers missionnaires-artisans. Canham de la LMS, en vertu d’un contrat avec Radama Ier, lance le traitement des cuirs et la confection des bottes et des chaussures. Bien que le cuir soit utilisé avant 1820, son travail prend de l’extension. De plus, c’est l’un des plus importants produits d’exportation de l’île, surtout vers l’Amérique. Toutefois, le « omby » reste peu employé comme bête de trait. Lorsque Ranavalona Ire entreprend son voyage à Manerinerina en 1845, elle emmène trois cents zébus pour transporter des objets. Beaucoup d’entre eux sont alors attelés à des « fiarakodia » (véhicules roulants). En outre, quelques commerçants emploient des « omby » pour le transport des marchandises (« Tantara ny Andriana », R.P. Callet). Mais cette fonction n’est pas généralisée. Selon Gwyn Campbell, la première raison qui explique cette utilisation réduite des zébus dans le transport, vient de la crainte éprouvée par l’ensemble des officiers merina « d’une pénétration militaire imminente et d’une conquête par les puissances européennes qui s’intéressaient à Madagascar. » Sous les règnes d’Andrianampoinimerina puis de son fils Radama Ier, les Merina se montrent pourtant favorables à des innovations dans le domaine des transports. Radama, en particulier, est convaincu par le premier gouverneur de Maurice, Robert Farquhar, que « la création d’une bonne voie entre la capitale et Tamatave faciliterait la circulation de vos productions, mais aussi des personnes, habitants et visiteurs ». En 1823, Radama Ier inaugure un plan pour l’amélioration des communications. « Il confia à Philibert et au prince Ratefy, deux notables de l’empire, le soin de diriger une équipe de huit cents hommes chargés de creuser des canaux devant relier les lagunes Pangalana de la côte Est. » Cependant, sur le plan politique, les forces conservatrices redoutent la communauté agressive des Créoles de la côte Est, qui représente une vraie menace étrangère. Radama est contraint par ces conservateurs de reconsidérer l’opportunité des plans d’amélioration qui faciliteraient nécessairement une pénétration militaire. « Le bombardement naval français de 1829 confirma un tel point de vue et mit fin aux expériences dans le domaine des transports. » La Cour malgache interprète, du reste cette attaque, comme une manifestation de la frustration éprouvée par les Français devant l’interdiction de la traite des esclaves. Et au début de son règne, Ranavalona se propose d’essayer d’apaiser les Français en leur offrant des esclaves, en dessous du prix normal selon Raombana. Mais de 1829 jusqu’à la colonisation française, la politique de défense du pouvoir merina se fonde sur cette non-amélioration du système de transport et des communications. Les dirigeants font d’ailleurs confiance aux barrières naturelles de la forêt et de la fièvre pour bloquer toute tentative d’invasion étrangère. Une stratégie qui se révèle particulièrement efficace pendant tout le XIXe siècle.
Plus récente Plus ancienne