Toni Morrison (1931-2019)


La robe obscure de la nuit était plus noire que de coutume le 05 août 2019, date du début du deuil que porte actuellement la longue nuit millénaire, celle des victimes des flagellations de discrimination. La conscience de l’Amérique a été amputée. Elle a perdu celle qui levait le voile sur la difficile intégration des Afro-Américains dans un monde de Blancs : Toni Morrison, première femme afro-américaine Prix Nobel de Littérature. 1993, l’Académie suédoise remettait le prix littéraire suprême à celle qui a su « donner vie à un aspect essentiel de la réalité américaine ». La réalité américaine, c’est l’inconscient collectif qui canonise l’homme blanc : son teint, ses couleurs, … propice aux complexes dont celle de Pecola, personnage principal du premier roman de Toni Morrison : L’œil le plus Bleu (1970), qui rêve d’avoir les yeux bleus, objets de ses prières du soir : la couleur des yeux de Shirley Temple, son idole. Six ans plus tôt en 1987, Beloved, son roman le plus célèbre, reçut le prix Pulitzer. L’histoire de Seth, une autre version de Médée (cf. Euripide), qui a égorgé sa fille pour lui épargner les chaînes de l’esclavage. L’asservissement qui peut annihiler un destin familial : « Que tout Blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne pour un oui ou pour un non. Pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si profondément que vous en oubliiez qui vous étiez et ne pouviez même plus vous en souvenir. » (Beloved, 1987). Et la discrimination survit donc à Toni Morrison. « Je veux voir un flic tirer sur un adolescent blanc et sans défense. Je veux voir un homme blanc incarcéré pour avoir violé une femme noire. Alors seulement, si vous me demandez : « En a-t-on fini avec les distinctions raciales ? Je vous répondrai oui. » Disait-elle en 2015 au Telegraph. La force de l’intolérance, c’est cette propension universelle à la consommer : blancs ou… noirs, on est tous des proies faciles qui peuvent sombrer dans le trou de l’intolérance. Ainsi en est-il, dans le roman Paradis (1998), de Ruby, une ville de noirs, dans laquelle tout ce qui peut souiller la pureté raciale est persécuté. « Dès que vous vous rassemblez pour être supérieurs, vous avez un problème. Parce que cela signifie que vous ne pouvez entrer aucune personne qui ne soit pas exactement comme vous. » Affirmait-elle dans l’émission, La Grande Librairie. Dans cette même émission on relève cette promesse : « Si vous êtes en train de me dire que je vais mourir avec lui (Donald Trump) au pouvoir. Non ! Je vais survivre à cela. Point final. » Donald Trump a au moins eu la décence de garder son arme de prédilection (twitter) dans sa poche. Pour Barack Obama, Toni Morrison était un « Trésor National ». Un trésor américain mais au rayonnement planétaire.
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