La valse des valeurs


Le sophiste Protagoras a dit: « l’homme est la mesure de toute chose ». Une citation qui est aussi l’un des plus beaux bijoux du patrimoine que se transmettent les relativistes de tout âge, ces adeptes d’un courant qui nie l’existence de valeurs objectives comme le bien absolu. La vie des valeurs (quelles sont les valeurs à respecter et à préserver? qu’est ce qui est bien?) suit une trajectoire zigzagante dont l’instabilité est perceptible à travers le caractère caméléonesque de la notion de « Bien » qui se modifie dans le temps et dans l’espace. Car l’histoire axiologique (relative aux valeurs) se décide au cours de procès où débattent deux ou plusieurs candidats, des valeurs ou des systèmes de valeurs qui prétendent chacun au titre convoité de « Bien ». C’est à l’issue de ces batailles que l’humanité ou ceux qui passent pour la représenter, juge suprême dont le verdict est un ordre implicite, impose au monde le « Bien » qui a réussi à la séduire et l’enjoint de rejoindre un troupeau rassemblé sous l’égide du vainqueur proclamé « Bien » suprême. Et l’humanité, dont l’histoire nous dévoile le caractère inconstant qui la classe dans la catégorie des partenaires infidèles, peut elle même à nouveau envoyer sur le banc des accusés celui qui a été pourtant placé à une place enviée de l’échelle des valeurs: celui qui a été le « Bien » pour les yeux d’un siècle est devenu, pour ceux du siècle suivant, l’horreur à supplanter, à remplacer par un concurrent qui était, à une époque, l’incarnation du mal. Ainsi passèrent ou sont susceptibles de passer à la trappe tant de valeurs qui étaient pourtant vénérées par les aînés comme le statut archaïque des femmes qui doivent être soumises à leur homme, ou l’évidence d’une division de l’humanité en deux genres bien distincts qu’on ne peut « transgresser », … Moïse, Lycurgue, Solon, le Christ, ... ont légué à l’humanité des valeurs qui sont encore inscrites sur l’édifice axiologique sur lequel se règle la vie morale. Mais le temps, pourvoyeur de mentalités nouvelles, a aussi effacé beaucoup d’autres. Ce temps qui est le terrain de jeu de cette mutabilité des valeurs. Ce temps qui nous a apporté la mondialisation qui veut uniformiser les valeurs qui ne sont pas les mêmes pour toutes les civilisations. Et certaines de nos valeurs, qui méritent de survivre mais qui suivent déjà la courbe descendante de l’agonie, sont menacées par cette invasion d’autres valeurs. Et comme elles n’appartiennent pas à la classe des exceptions, elles sont, comme les autres valeurs qui ont été dégradées, vulnérables. À nous, dépositaires indignes, d’assurer leur permanence, participant ainsi au maintien de la richesse culturelle du genre humain.
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