Plaidoyer pour le masque


Le port de masque s’est, depuis bientôt un an, inscrit sur les tables des commandements à respecter en situation de crise sanitaire. Ainsi, devient manifeste notre statut de personne, un terme issu du latin persona qui désignait le masque de théâtre. Or, Le monde, écrit Shakespeare dans Macbeth, est un « théâtre, et tous les hommes et femmes n’en sont que les acteurs ». Et si la vie humaine n’était en fait qu’une succession d’innombrables représentations théâtrales jouées sur l’immense scène du monde? Parmi tous les rôles qu’on a interprétés avec les différents visages (les masques) qu’on a arborés au cours de notre vie, celui qui émane de ce masque physique (contrairement aux masques invisibles qu’on porte habituellement) est l’un des plus nobles car il consiste à sauver des vies. « Nous sommes nous qu’aux yeux des autres », écrivait Sartre dans L’Être et le Néant (1943). Sur l’espace dramatique national où se joue la pièce de l’épidémie de Covid-19, s’offrent à nos yeux d’acteurs-spectateurs les péripéties, pour l’instant d’une effervescence digne des plus lassantes pièces à tiroirs, qui mettent en scène une configuration dichotomique propice à une perception manichéenne dans laquelle le signe distinctif des héros est le port correct d’un masque visible et reconnaissable. Des héros qui sont encore portés par le désir de sauver le monde (et leurs vies) de l’apocalypse, le spectre que le virus fait planer sur eux et qui hante leurs cauchemars. Car le masque est, depuis l’Antiquité, porteur d’une aura nourrie par les croyances et différentes superstitions qui lui donnent un pouvoir de transfiguration. Les acteurs dans le théâtre grec antique sont, le temps que dure la représentation, les personnages qu’ils jouent ; les danseurs masqués de l’Égypte pharaonique rendaient présents les dieux représentés par les masques; le masque de Zorro métamorphose le « freluquet » Don Diego de la Vega; ... le masque chirurgical ou en tissu, qui peut parfois nous rendre méconnaissables aux yeux de nos connaissances, est l’arme qui fait de nous des sauveurs de vies. Mais l’ennemi, profitant de l’infériorité numérique de ces héros masqués, continue d’étendre l’ampleur de son terrain. Les médecins et professionnels de santé, les plus grands de ces héros qui, vaillamment, sont en première ligne, résistent avec de plus en plus de difficulté aux assauts de l’ennemi dont la puissance a été centuplée par l’arrivée des renforts sud-africains. À nous d’écrire la suite et le dénouement de la pièce qui se joue actuellement. Concernant le genre théâtral, nous avons le choix: une tragédie avec une fin malheureuse ou un mélodrame qui se clôt sur une fête. Pour vaincre l’ennemi, il nous faudra plus de héros, de héros masqués et, par extension, respectueux des gestes barrières qui doivent accompagner la transfiguration.
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