Des missionnaires intéressés par les origines des peuples malgaches


Une différence très nette sépare les deux générations de missionnaires qui se sont succédé en Imerina, de 1820 à 1836, puis de 1861 à la fin du XIXe siècle (…) en ce qui concerne leur intérêt pour l’oral » (Françoise Raison, « Le travail missionnaire sur les formes de la culture orale à Madagascar entre 1820 et 1886», Revue d’études historiques, Omaly sy Anio, janvier-juin 1982). Les premiers amorcent des collectes de contes et proverbes dans une perspective avant tout linguistique ; les seconds s’attachent à rassembler les us et coutumes « d’un peuple avec ses variations régionales et thématiques». Deux publications, très voisines dans le temps, marquent l’apparition de la deuxième vague de travaux dans le temps, annonce l’auteure. Celle du premier numéro de l’« Anta­nanarivo Annual » en 1875, et celle des travaux de Dahle ainsi que la Société de folklore malgache fondée par Parrett et Richardson en 1877. Avec la première publication, explique Françoise Raison, des thèmes d’intérêts différents de ceux de la première génération missionnaire se manifestent. Deux ambitions sont citées qu’elle résume. La Londion Missionary Society entend ne pas laisser au seul Grandidier « le soin de se faire un nom à propos de Madagascar » et d’apparaitre, après ses premières publications dans le Bulletin de la société de Géographie en 1867, 1868 et 1871, comme « un expert dans l’exploration hors des Hauts-Plateaux ». À la Conférence missionnaire que préside Mullens en 1873, la décision est prise de maintenir la LMS dans le Betsileo. Les années suivantes jusqu’en 1876, une série d’expéditions en dehors des Hauts-Plateaux (vers le Sud-Est et le pays tanala, la côte Nord-Est, Mahajanga, renouvèlent les points de vue sur la Grande ile, ouvrent des possibilités de comparaison entre groupes ethniques, « désenclavent en quelque sorte des points de vue trop centrés sur l’Imerina ». En outre, alors que la LMS choisit jusque-là de faire des publications, surtout en malgache et pour les Malgaches avec des buts didactiques, elle entend s’adresser aussi désormais en anglais aux milieux scientifiques européens intéressés par la philologie, la botanique, la zoologie, la paléontologie… « Et le folklore est un champ nouveau de recherche dans lequel l’Angleterre, à la suite des pays nordiques, est déjà bien engagée et qui n’intéressera nullement Grandidier.» L’auteure indique que ceci est précisée dans le premier article de l’« Antananarivo Annual » de 1875, intitulé « Notre objet et nos buts ». La Mission y montre qu’elle prend soudain conscience de ses capacités scientifiques à côté, possible, de son travail linguistique, à cause de « tous les missionnaires qui sont bien placés pour trouver un ample matériel ». Le rédacteur ajoute : « Dans nos rapports avec les gens, nous rencontrons tous les genres, de l’histoire, des coutumes, des moyens de penser… des traditions, légendes, fables, du folklore et même des berceuses, qui devraient être sauvegardés car ils jettent une lumière précieuse sur les origines des différentes tribus. » La LMS constate alors que légendes et fables pourraient, « en termes obscurs », avoir quelque chose à nous dire sur l’origine et, donc, sur l’histoire des Malgaches. Mais, remarque l’auteure de l’étude, un autre terme plus positif encore est présent dans la préface de Dahle à son ouvrage sur les « Specimens of malagasy folklore ». Il s’agit de « contribuer modestement à notre connaissance de la langue, des pouvoirs imaginatifs et des idées caractéristiques du peuple au milieu duquel ce fut mon lot de travailler ». C’est donc un « retournement radical d’attitude » qui met en lumière le génie du peuple et exalte les pouvoirs de l’imagination si sévèrement pourfendu par la première génération missionnaire. Toujours d’après l’auteure, ce retournement est à situer dans le contexte du « mouvement romantique ». Les travaux de Jacob Grimm (1812 à 1835) sont suivis en Norvège par des recueils de Ballades et surtout par une vague d’intérêt pour les sagas islandais. Les masses paysannes dont la mémoire fidèle emmagasine et transmet ces récits, se trouvent soudain valorisées. Donner la parole au peuple malgache, indique Françoise Raison, est bien le projet de Dahle en écrivant qu’il ne donne rien au sujet des Malgaches, mais quelque chose créé par eux-mêmes, telle « des productions de leur génie propre », souligne-t-elle.
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