Perrine Louart : « Les contestations reflètent le jeu normal de la démocratie »


Après trois années de bons et loyaux services, Perrine Louart, chef de la délégation régionale du CICR, le Comité international de la croix rouge, quitte la terre malgache. L’organisme international plie également bagage. La situation se normalise explique cette humanitaire. • Pourquoi partez-vous ? - Nous partons parce que depuis que la décision a été prise en 2016, Madagascar est dans une situation de développement. Nous ne sommes plus dans une situation de crise. Le calme politico-social est revenu et donc le mandat du CICR donné par la communauté internationale n’a plus vraiment de raison d’être. Nous ne pouvions pas partir trop vite parce que nous étions engagés dans l’amélioration des conditions de détention impliquant la santé, la réhabilitation. • Qu’entendez--vous par calme politico-social ? Les présidentielles de 2018 ont été contestées, les législatives et les communales de 2019 le sont également …. - Je dirais qu’il s’agit là d’une situation normale. Il n’existe, dans aucun pays, de cas où le calme plat suit une élection. Il y a toujours des contestations. C’est cela le jeu de la démocratie. à partir du moment où l’opposition peut s’exprimer, on n’appelle pas cela des troubles. Sauf s’il y a des mouvements de population ou de la répression contre celle-ci. Tous les acteurs humanitaires, tous les bailleurs de fonds savent depuis 2016, depuis que le sommet de la Francophonie a eu lieu, que Madagascar est véritablement dans un contexte de développement. Voilà pourquoi tous les acteurs de développement sont revenus et que des investissements pour le développement ont lieu. • Pourquoi Madagascar ? Le pays était-il en situation de guerre puisque vous intervenez principalement dans les zones de conflit ? - Le CICR est arrivé il y a une trentaine d’années mais avec une présence permanente qui date seulement de 2008. Le pays connaissait une situation de mouvement civique, de troubles. Il y avait pas mal de détention politique ou de sécurité. Nous sommes restés parce que nous avons vu l’état des prisons. Le suivi des détenus de droit commun ne figure pas tout à fait dans notre mandat, mais de par l’expertise du CICR à travers le monde, nous l’avons proposé au gouvernement qui l’a accepté. Nous avons pensé que pour travailler réellement sur le fond, il fallait être sur place. L’accord de visite a été signé en 2002 et l’accord de siège en 2003. • A quel point la situation était-elle grave ? Nous travaillons pour la population civile lorsque celle-ci ne bénéficie pas de la protection adéquate. à Madagascar, lorsque nous avons, à l’époque, commencé à visiter les lieux de détention pour voir les détenus de sécurité, nous nous sommes rendus compte que les conditions carcérales des détenus de droit commun, également, étaient très très loin des standards internationaux. Nous avons bénéficié d’une très bonne collaboration avec le ministère de la Justice et l’administration pénitentiaire. • Qu’est ce qui a changé en dix ans de présence du CICR ? - Je suis arrivée il y a seulement trois ans. Pas mal de choses ont déjà été faites avec le ministère de la Justice. Je peux vous parler par exemple de la diète carcérale. A Madagascar, l’habitude était de nourrir les détenus avec du manioc comme seul élément nutritif. Aucun être humain ne peut survivre avec un tel régime. Donc nous avons mis en place, avec l’Aumônerie catholique des prisons et l’administration pénitentiaire, des programmes nutritionnels. Nous avons constaté énormément de décès dus à la malnutrition sévère, cassant toute la résistance du corps humain. Au cours de ces deux dernières années, la nouvelle diète carcérale signifie maintenant une alimentation plus équilibrée, équivalant à 2000 kilos calorie idéalement. Cela permet au moins que les personnes qui entrent en détention ne tombent pas dans la malnutrition sévère qui peut leur être fatale. • Mais cette situation carcérale est le reflet même de celle de la société finalement. Le serpent se mord un peu la queue non ? - Nous combattons le décès dû à la malnutrition sévère. Certaines personnes qui entrent en détention, c’est vrai, sont déjà en situation de malnutrition. Notre objectif est qu’ils n’en meurent pas. Un système de veille nutritionnelle est mis en place par l’administration pénitentiaire. Le poids et la taille de chaque détenu sont observés à son entrée et pendant sa détention. Des alertes se déclenchent lorsque le BMI, le calcul de la masse corporelle, est en dessous du seuil. Le ministère de la justice, à ce moment là, envoie de la nourriture. Aujourd’hui, dans les prisons malgaches, le taux de malnutrition sévère est au même niveau que celui de la population en général. • J’aurais aimé avoir votre ressenti personnel la première fois que vous êtes allée dans les prisons malgaches. Qu’est ce qui vous a le plus choqué ? - Je visite des prisons en Afrique depuis vingt ans. Mes points de comparaison ne sont pas forcément mieux que ce que j’ai vu à Mada­gascar honnêtement. Quand je suis arrivée, j’ai vu énormément de gens qui souffraient. Il était important pour nous de mettre en place ce programme nutritionnel que l’on gérait et finançait directement. L’état nutritionnel des détenus est maintenant stable. Bien évidemment la prison n’est pas encore un endroit où l’on mange bien mais le repas par jour permet au moins de couvrir les besoins essentiels. • Nous avons récemment observé un signal venant de l’Etat malgache par rapport à la situation carcérale, envers la surpopulation carcérale. Diriez-vous que l’objectif est atteint ? - Des cas de détentions préventives qui pouvaient être assez longues ont été observés. Mais la législation nationale autorise pour des cas criminels jusqu’à deux ans de détention préventive. Le président de la Répu­blique a demandé d’épurer tous les cas lorsqu’il avait visité Antanimora, pour essayer de diminuer cette statistique. Nous sommes, pour l’instant, dans un ratio de 60% de détention préventive pour 40% de personnes condamnées. Cela va demander un énorme effort au niveau judiciaire. Cela ne se fera pas tout de suite mais, de part et d’autre, la volonté est là. • Les autorités ont annoncé que la détention préventive ne sera plus systématique. Là aussi, une étape a été franchie ? - Ce n’est pas la détention préventive qui est systématique mais la détention, l’arrestation. Dans le code pénal pourtant, on le recommande en dernier recours. Ici les juges ont l’habitude d’arrêter d’abord et ensuite de traiter les cas. Mais il manque ce mécanisme important qui est le juge d’application des peines permettant de libérer sous caution les personnes condamnées. Il y a également tout un effort à faire sur la réinsertion. • Donc vous partez avec quel sentiment exactement ? - Honnêtement, je suis plutôt confiante. Nous avons énormément travaillé avec le ministère de la Justice, aussi bien au niveau du judiciaire que le pénitentiaire, dans l’optique de fournir un maximum d’outil et de formations pour qu’ils puissent continuer. Nous avons senti une vraie détermination qui est appuyée par les plus hautes autorités de l’Etat. • Où partez-vous ? - Au Burundi. C’est une autre situation. Il y a encore beaucoup de conflits, des rebellions, beaucoup de visites de détention avec des détenus de sécurité. • Donc si vous partez, c’est bon signe pour nous ? - (sourire) Oui. Mais il est également important de dire que si nous partons, tout n’est pas parfait dans les prisons. Mais Madagas­car est dans une situation normalisée à lequelle les autorités se sont engagées à prendre leurs responsabilités.
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