Santé - La genèse de la lutte anti-tabac


Il est bien révolu, du moins dans les pays développés, le temps des cabarets enfumés et des personnalités publiques posant cigarette ou pipe aux lèvres. Selon les époques et entre cent autres, ils s’appelaient Jean Cocteau, Jean-Paul Sartre, Georges Brassens, ou encore Serge Gainsbourg dont le fantasma était de fumer l’équivalent de son poids en Gitanes. La France aura été l’un des pays d’Europe à rallier le plus tardivement le club des moins fumeurs. C’est en 1975 que Simone Veil ministre de la Santé rend publics les grands axes d’une campagne nationale d’information et de sensibilisation sur les dangers du tabagisme, une campagne se voulant être de proximité car couvrant toute la population. Une partie de cette sensibilisation consiste en une manœuvre bien ciblée à l’encontre du fumeur, s’inspirant du modèle scandinave qui fait réellement figure de pionnier en la matière. Elle est destinée à le mettre psychologiquement au ban par rapport à la majorité de ceux qui « subissent », en conscientisant celle-ci sur ses droits de non fumeur, et en renforçant les mesures d’application de la loi sur la limitation du droit de fumer dans les endroits publics. Une autre démarche oriente l’attention des jeunes sur la nocivité de la cigarette, plus particulièrement ceux qui ne sont pas encore « contaminés ». Les célébrités ont ainsi été « invitées » à proscrire la cigarette de leur image, et Lucky Luke lui-même a dû troquer son légendaire mégot contre un brin d’herbe, et tant pis pour les ronds de fumée en forme de tête de mort qu’il savait si bien exhaler ! Les différentes phases de cette campagne française ont effectivement permis d’induire une diminution de la consommation notamment chez les adolescents. Il s’agit ensuite de cantonner les fumeurs dans des « stalag » virtuels où ils sont censés moins contaminer, question de leur apprendre à vivre sans leur vice. Ce sont les pays scandinaves qui ont lancé les premiers assauts les plus énergiques contre l’empire et l’emprise du tabac. Peut-être est-ce dû à leur situation géographique proche de l’Arctique, qui donne l’illusion de pouvoir se réchauffer grâce à la cigarette ou à la pipe  ? Le parlement finlandais est le premier à réclamer de son gouvernement des mesures rigoureuses, dès 1961, mais il ne légifèrera que quinze ans plus tard en se concentrant sur les transports, les lieux publics, la promotion des ventes des produits du tabac, ainsi que le transfert de l’administration des affaires se rapportant au tabac au ministère de la Santé qui détermine désormais les normes des substances nocives contenues dans le tabac. C’est la Suède qui entame les démarches les plus actives suite à une pétition déposée en 1963 par un groupe de personnalités scientifiques pour la mise en place d’un programme officiel d’information et d’éducation sur le tabac et la santé. Cette même année voit la création de l’Association Nationale Tabac et Santé (NTSA), première institution gouvernementale au monde consacrée au problème du tabagisme. Elle sera à l’origine d’un programme suédois de vingt-cinq ans en vue de l’élimination du tabagisme à partir de 1973. Ce programme comparé par un journaliste à une campagne militaire a entre autres objectifs celui de culpabiliser le fumeur en l’exposant de plus en plus aux pressions de l’opinion publique, et de faire en sorte que la consommation de tabac n’ait plus l’occasion de reprendre une courbe ascendante sous d’autres formes. C’est aussi à la Suède que les fumeurs doivent de voir mentionnés sur les paquets de cigarette le taux de goudron, de nicotine, d’oxyde de carbone, ainsi qu’un assortiment de mises en garde. Parmi les autres stratégies visant à accentuer la pression, on citera le droit des enfants en bas âge de ne pas évoluer dans un environnement familial pollué par le tabac. Les parents, et le personnel des Centres d’éducation et de protection maternelle et infantile sont principalement ciblés. La Norvège ne tarde pas à adopter des mesures similaires, confortée par les résultats des études menées dans le pays. Ailleurs en Europe, un cas à part est celui du Royaume Uni qui a une longue tradition de tabac, des « special flavours » fabriquées sous licence de Sa Majesté aux cigarettes « Morland » bagués d’or, en n’oubliant pas l’image de Winston Churchill inséparable de son cigare. On ne s’étonnera pas qu’il ait le plus fort taux de cancer du poumon de toute l’Europe, même si les Britanniques préfèrent y trouver d’autres raisons, comme le célèbre « smog » londonien. Des initiatives y sont quand même prises, comme la restriction de la publicité ou de la récupération des exploits sportifs par les marques de tabac. Aux antipodes, même si un pays comme Madagascar s’est aligné sur ces mesures pour se conformer aux recomman­dations de l’OMS, le tabagisme n’accuse pas de recul notoire. Dans le milieu rural le «  paraky » n’est pas seulement une habitude acquise souvent dès le plus jeune âge, mais aussi une panacée populaire contre certains maux comme les migraines, les caries dentaires, ou les plaies. Malgré toutes les dispositions prises de par le monde, il ressort que l’industrie des cigarettes n’est pas près d’être à court d’argument, sponsorisant des fondations dont certaines sont activement engagées dans la recherche contre des maladies comme… le cancer, sans oublier sa contribution aux finances des Etats dont pas un, grand ou petit, ne se hasarderait à se passer. « Supposons, disait un responsable de la NTSA suédoise, que nous réussissions à atteindre le premier objectif intermédiaire, ainsi que le second, avec pour résultat une réduction de 10% du nombre total de fumeurs de tous âges tous les cinq ans depuis le début du programme. Même si nous nous en tenions à ces suppositions très optimistes, nous estimons que le pourcentage des fumeurs au sein de la population totale ne commencera à décroître que vingt ans après le début du Programme. Trente ans après le coup d’envoi, plus d’un quart de la popu­lation au dessus de trente ans fumera encore, ce qui suffira à influer les statistiques de mortalité et de morbidité pour les trente années suivantes ». Un tonneau des Danaïdes en quelque sorte… L’addiction au tabac est chose rapide, et l’herbe à Nicot a eu le temps de se faire des racines. En Palestine dans la bande de Gaza, le tabac est un produit-phare de contrebande bien plus juteux que les armes. Les cigarettes s’y achètent à l’unité comme chez nous, e t il n’es t pas rare semble-t-il qu’elles servent de monnaie de change dans les taxis…
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