Nous, îles éparses des Trano Gasy


L’École Nationale Supérieure d’Architecture (ENSA) de Nantes (France) a ouvert une antenne à l’île Maurice en 2016, dont les premiers diplômés d’État en architecture sont sortis en juillet 2021. Des étudiants malgaches font partie des premières promotions et ont fondé l’association Isik’Archi dont la page Facebook s’orne gentiment de Trano Gasy. Une de ces étudiantes, qui a continué son cursus à l’ENSA Paris La Villette, a justement fait le choix de s’intéresser aux Trano Gasy et c’est avec grand plaisir que j’ai mis à sa disposition mes rudiments de connaissances en la matière. Après des décennies d’indifférence, les Trano Gasy se retrouvent désormais à la confluence de nombreuses démarches. La Ville d’Antananarivo a lancé le concours «Ny Foko sy ny Taniko» qui vise à faire inventorier et mettre en valeur cette architecture caractéristique d’Antananarivo par les habitants eux-mêmes. Un «laboratoire» du Département d’Histoire, à la Faculté des Lettres de l’Université d’Antanana­rivo, s’y consacre également. Les architectes réunis au sein de l’association «Maison de l’architecture» ont déjà signé des variantes contemporaines de Trano Gasy. Quant à PRODUIR (projet de développement urbain intégré et de résilience), il nous a gratifié d’une bien belle carte postale de futures maisons résolument inspirées de l’architecture traditionnelle des Hautes Terres, à bâtir dans le quartier d’Andavamamba. Il y a vingt ans, une heureuse initiative (BEPA) avait déjà remis la Trano Gasy, en ses nombreuses déclinaisons dans le respect des fondamentaux, au coeur du complexe immobilier de Tana Waterfront à Ambodivona. Ici même, et tout récemment, la Chronique aura été associée à une initiative de sauvegarde d’une Trano Gasy qui contemple Mahamasina du haut de la vieille ville collinaire (Chronique VANF 23.07.2021) avant d’être invitée à admirer une Trano Gasy admirablement conservée à Ambavahadimitafo (Chronique VANF 10.09.2021). Il était sans doute temps avant qu’il ne soit trop tard. Quand on voit cette Trano Gasy d’Ankadifotsy, d’abord divisée en deux par les héritiers, avant que l’autre moitié ne soit drastiquement abattue, il faut craindre le pire: l’érection d’une horrible tour de béton au fort rendement du mètre carré. Chaque incendie qui implique une ou des Trano Gasy ne présage non plus rien de bon: la tentation est grande de céder aux promoteurs indélicats dont la sensibilité architecturale fait fi de l’histoire et du patrimoine. Mais, voilà: nous demeurons des «îles éparses» encore loin de constituer une «société civile de la Trano Gasy» qui s’imposerait en interlocuteur des privés et de l’administration. Post-scriptum: De la Trano Kotona à la Trano Gasy (1610-1870), il y eut (1) passage du madrier de bois à l’adobe puis à la brique cuite, (2) compartimentation de l’espace unique quand le poteau central fut remplacé par un mur porteur, (3) transformation de l’extraordinaire hauteur sous plafond en un étage que contenait déjà en concept le litmezzanine, (4) remplacement de la couverture végétale du toit à double ou quatre pentes par de la tuile d’argile, (5) fidélité à l’angle fermé caractéristique de la toiture démesurée des Lapa de type Besakana, lointain écho de la toiture formidable de certaines maisons traditionnelles d’Indonésie, (6) adjonction d’un balcon suspendu avant que le «lavaran­gana» ne soit porté par des «pieds», parfois de pierres sculptées, (7) respect des fondamentaux avec l’orientation préférentielle de la façade principale du carré long vers l’Occident.
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