Victor Augagneur impopulaire parmi les colons


La période de l’administration française, qui suit le proconsulat de Joseph Gallieni (1905 à 1914) est une époque difficile dans le Monde. C’est une période de crises internationales qui suit celle des partages coloniaux. « L’Europe des grandes puissances coloniales, riche et dynamique, gouverne encore l’économie mondiale, malgré la montée en puissance des États neufs, les États-Unis et le Japon » (Histoire de Madagascar », 1967). En Europe, l’antagonisme franco-allemand domine les relations et aboutit à la division de l’Europe en deux camps : les impérialistes s’opposent à propos du Maroc, les nationalistes européens s’exaspèrent, la paix est de plus en plus menacée. Certes, Madagascar qui est éloignée de l’Europe, à une époque où les voyages sont encore lents, n’est pas touchée par ces évènements, mais la vie intérieure française influence directement le gouvernement de la Colonie. En France, expliquent les auteurs de l’ouvrage d’Histoire cité plus haut, cette période est inaugurée par la loi de séparation des Églises et de l’État, qui met fin au régime du Concordat : les Églises retrouvent leur liberté, mais l’État ne subventionne plus aucun culte. « Cette séparation est l’aboutissement de quatre années de luttes menées contre les congrégations, contre l’enseignement congréganiste, contre le Vatican, par le ministère radical Combes. » À Madagascar, l’administration du gouverneur général Victor Augagneur appartient à la génération d’hommes politiques attachés à lutter, au début du XXe siècle, « contre l’armée et le militarisme, contre l’Église et le cléricalisme ». Parlementaire, il s’agit d’un personnage éminent et distingué. Radical, « c’est un homme politique attaché à la réalisation de son programme, aux yeux duquel les idées et les principes comptent très souvent plus que les réalités ». Réagissant contre le proconsulat militaire, il s’efforce de remplacer les structures installées pendant la conquête par un administrateur civil, mais il manque d’administrateurs civils. Invité par le ministère des Colonies à pratiquer « une politique budgétaire prudente », il est forcé de sacrifier certains chapitres à ses réformes. Victor Augagneur mène évidemment une lutte énergique contre l’enseignement privé à Madagascar. Les écoles privées en 1905, au nombre de 2 000 environ, enseignent à quelque 200 000 élèves, soit neuf fois plus que l’enseignement public créé par Gallieni. Le budget de l’enseignement réduit ne permet pas de laïciser les établissements libres. La disparition de l’enseignement des Missions, dans la majeure partie des cas, prive les élèves d’instituteurs. « Entre l’éducation des enfants, indispensable au développement des cerveaux et des âmes, et le principe de la neutralité, Augagneur choisit le second. » Ainsi, les édifices cultuels ne pourront plus être des écoles et seuls les diplômés pourront diriger les établissements scolaires. Ce qui diminue beaucoup la population scolaire de la Grande ile. L’étiquette politique du gouverneur général Victor Augagneur le rend assez impopulaire dans les milieux commerçants et parmi les colons. Une impopularité qui grandit quand l’autorité civile, sous son impulsion, « entreprend d’adoucir le régime des prestations et de l’indigénat ». Pour lui, le Malgache n’est pas « exploitable à merci ». Il s’efforce alors de persuader l’employeur d’agir avec modération et conscience et établit en 1906, des conseils d’arbitrage pour protéger les salariés. Il continue cependant la politique des grands travaux inaugurés par Gallieni : ouverture de nouvelles routes et surtout poursuite des travaux de la ligne ferroviaire Antanana­rivo-côte Est. Il s’efforce également de développer la vie économique et les échanges, mais il tient peu de cas des exigences des colons. De leur côté, ces derniers font la sourde oreille quand le gouverneur général recommande « une collaboration pacifique et généreuse avec les colonisés ». En fait, un climat tendu règne dans la Grande ile. L’opposition des missionnaires mécontents de sa politique religieuse et scolaire, celle des partisans de la colonisation, intransigeante, se manifestent en toute occasion. Des ligues, des syndicats se forment. Les campagnes de presse se multiplient. Mais adversaire de la violence, Augagneur croit en la mission civilisatrice de son pays. Il reprend à son compte la politique d’assimilation évoquée par son prédécesseur : le décret du 3 mars 1909 prévoit que la « qualité de citoyen français devrait pouvoir être accordée (aux Malgaches) qui se seraient rapprochés de nous (des Français) par leur éducation, qui auraient adopté notre civilisation et nos mœurs ,ou qui se seraient signalés par leurs services ». Bref la naturalisation est très restrictive. Augagneur quitte Madagascar en juillet 1910, à la grande joie des colons et des missionnaires, et au grand regret de certains Malgaches. « Désireux d’atténuer les effets de la colonisation, ce gouverneur radical ne parvient pas à s’élever au-dessus des problèmes. Parce qu’il défendait l’intérêt général de la Colonie, il suscita l’opposition de ses concitoyens dont la rancune tenace l’empêche de retrouver son poste en 1920. »
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