Chronique de VANF - Jésuite un jour...


Le 19 décembre 2019, le R.P. Charbel Batour, Recteur du Collège jésuite de Notre-Dame de Jamhour, au Liban, lançait un appel solennel à l’aide pour éviter que le Collège ne doive fermer pour la première fois depuis sa fondation en 1850 : «Je vous lance cet appel à un moment délicat de notre histoire en tant qu’institution et en tant que nation. Notre pays traverse une crise économique sans précédent depuis la Première Guerre mondiale. Le pays est au bord du gouffre économique. De fait, le système bancaire, colonne vertébrale de l’économie libanaise, est quasiment paralysé. Les liquidités se faisant de plus en plus rares, les dépositaires ont perdu la liberté d’usage de leur argent (...) Le changement réel dont le Liban a besoin ne peut advenir qu’à travers une évolution lente mais efficiente des mentalités. Cette tâche ne peut être assurée qu’à travers l’éducation, dont les effets ne se feront sentir que dans la durée. D’où l’enjeu majeur de défendre et de préserver, coûte que coûte, nos institutions éducatives, dont Jamhour est un des symboles». Le Liban traverse une crise économique majeure et les clients des banques subissent un plafonnement de leurs retraits, un comble pour un pays qui avait gagné le surnom de «Suisse du Proche-Orient». Le gouvernement avait démissionné le 29 octobre 2019 et, depuis, le nouveau cabinet tarde à se mettre en place sur fond de tractations politiciennes et de dosages complexes pour trouver un équilibre entre les Druzes (musulmans), les Maronites (chrétiens), les Sunnites, les Chiites, le Hezbollah contrôlé par l’Iran avec un arrière-plan régional résultant de l’enclavement du pays entre la Syrie (tutelle syrienne sur le Liban jusqu’en 2005) et Israël (occupation israélienne du Sud-Liban jusqu’en 2000), sans oublier les séquelles de la guerre civile (1975-1990) qui a fait 150.000 morts et 800.000 déplacés. D’ailleurs, à suivre aujourd’hui, même de loin, l’actualité du Liban, le temps semble s’être arrêté sur des patronymes qu’on avait abondamment entendus dans les années 1980s, les fils ayant succédé aux pères sur le bon vieux mode féodal : Joumblatt (Kamal, Walid), Hariri (Rafiq, Saad), Gemayel (Pierre, Bachir, Amin), Karamé (Rachid, Omar)... C’est dans le quartier chrétien Achrafieh de ce Beyrouth, étonnamment reconstruit alors que les images des ruines furent longtemps imprimées dans nos rétines, qu’avait débarqué Carlos Ghosn l’autre 30 décembre 2019. Et c’est en suivant ses traces que je suis tombé sur cet appel du Collège jésuite de Jamhour dont l’ancien patron de Renault-Nissan est un ancien. Intérêts régionaux, solidarités claniques, identités confessionnelles, rivalités séculaires, partis communautaires, le tout fait un nitroglycérine qu’il est périlleux de secouer trop fort : toute la région étant déjà une poudrière, une étincelle partie de Beyrouth risque de tout embraser de Tripoli à Bagdad, d’Ankara à Tel-Aviv. Le Recteur jésuite a raison de croire que l’éducation est une démarche de paix dans les mentalités.
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