La vieillesse est un naufrage


Elle avait 96 ans. Les millions de photographies d’elle, à chaque âge de sa longue existence, auront permis de mesurer très précisément les ravages du temps. Entre la jolie, parce que jeune, fille couronnée à 26 ans et la grand-mère que pleurent des millions de sujets britanniques et du Commonwealth, il se sera passé soixante-dix ans. Personne n’en sort indemne. Marylin Monroe, née la même année que la Reine, a eu la bonne idée de mourir jeune, 36 ans, dans la plénitude de sa féminité. Romy Schneider, partie à 44 ans, n’aura pas vu ses photos prendre les inévitables rides. Même Lady Di, mortellement accidentée à 36 ans, laisse l’image d’une beauté intacte, sans une égratignure. «De mourir, ça ne me fait pas peur. Mais, ça me fait de la peine de quitter la vie» : dans la trilogie, «Marius-Fanny-César», Marcel Pagnol avait déjà programmé la disparition prématurée d’un personnage qui semblait pourtant gigantesque et omniprésent. «Maître Panisse», le vieux, devait quitter la scène du bar de César pour faire de la place à Marius, le (plus) jeune, afin que s’accomplisse le couple Marius/Fanny. Tout de même, Panisse et Fanny, c’est trente ans de différence. Écart énorme qui en fait une énormité sociale. Deux jeunes ensemble, c’est tellement plus mignon. Appariés, assortis. Les autres pourront se consoler en lançant à la cantonade, sans trop y croire, que l’âge n’est qu’un numéro. «C’est la jeunesse ça, Norine. Ça s’en va vite et ça ne revient plus », tenta César, pour consoler Honorine, la mère de Fanny, cette sainte-nitouche qu’elle venait de surprendre au lit, dans les bras de Marius. Marqueur culturel comme signe d’une époque, la réplique suivante : «L’honneur, c’est comme les allumettes : ça ne sert qu’une fois», que lança César, en même temps que la ceinture oubliée par Marius chez Fanny. C’est la jeunesse qui ne sert qu’une fois. Certes, pendant tout le temps qu’on sait la conserver, dans sa tête, dans l’âme. Parce que, même avec jugement supplétif, on ne triche pas avec l’âge de ses artères. «Face à cet ennemi qui tournera ma page, que l’on nomme vieillesse et que j’appelle l’âge» : nous abdiquerons tous.
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