La loi de l’incertitude


David Hume, un des piliers de l’empirisme, a décrit une cage en fer suspendue au-dessus du vide, tenue par un câble en acier dont la solidité à toute épreuve devrait assurer une complète sécurité à quiconque veut séjourner dans l’habitacle. Mais la hauteur étant toujours vertigineuse, la peur de la chute ne peut être réprimée, elle s’installe insidieusement quand on baisse les yeux et quand notre esprit évalue la distance qui nous sépare du sol dont la pesanteur semble vouloir toujours nous prendre. Cette image, qui n’est pas évoquée en référence à un fameux projet présidentiel (quoique...), nous fait comprendre la persistance de l’incertitude qui aime nous rappeler que « le risque zéro n’existe pas», on ne peut faire totalement confiance à un câble qui, pourtant, pourrait supporter un éléphant. On constate ainsi la fragilité de nos certitudes. Et la vie est gouvernée par l’incertitude qui consolide un peu plus son pouvoir, aidée par le temps qui est son allié fidèle. Car plus les années passent, plus tombent les certitudes sur lesquelles l’humanité, renforcée par ses certitudes scientifiques ou religieuses, a bâti sa domination sur le monde qui était, selon les termes de Max Webber, victime d’un « désenchantement ». Mais l’enchantement cherche à revenir et s’affirme en imposant sa loi qui peut échapper à l’intelligence de l’homme, pétri dans un excès d’anthropocentrisme qui l’aveugle : il ne voit pas que le monde et l’histoire lui échappent en menaçant son aspiration à l’omnipotence. Et la loi de l’incertitude promet d’être terrible. Le monde se couvre graduellement d’un voile d’opacité dont la croissance exponentielle l’éloigne des certitudes humaines. Le climat qui, dit-on, se dérègle, se dérobe aux prévisions météorologiques et fait vivre aux saisons cette loi de l’incertitude ; la Covid-19, actrice principale d’une succession de péripéties, ces rebondissements qui ont donné une triste tonalité aux deux dernières années, et qui continue de diriger l’orchestre des premiers mois de 2022, achève de nous mettre face à nos limites: cette intensification progressive de l’incertitude peut annoncer une future crise de la mégalomanie humaine. Et l’homme, pour affronter cette tempête d’incertitude qui veut ravager ses croyances et convictions, a le choix entre deux postures, celles qui sont illustrées par le cocher imaginé par Søren Kierkegaard. Selon le penseur danois, quand on vit le vertige (l’angoisse) provoqué par la conscience de notre liberté, on est comme un cocher qui conduit un fiacre trainé par deux chevaux aux élans opposés : l’un, de couleur blanche, est attiré par le ciel; l’autre, de couleur noire, tire l’équipage vers la terre. Le cocher peut, soit imposer sa volonté en maîtrisant le cheval noir, soit s’abandonner aux caprices des chevaux. Et l’homme peut rester fidèle à sa nature en optant, soit, comme le prônait Albert Camus, pour la révolte dans un monde absurde qui échappe aux certitudes, soit adopter l’attitude du sage stoïcien qui se soumet à l’ordre du monde. Á moins que le libre arbitre ne soit aussi une illusion, rien n’est certain.
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