L’eau des poètes


La conjugaison du changement climatique et des actions-ponctions de l’homme sur l’environnement risque de faire oublier l’histoire «irriguée» de territoires anciennement dénommés Vakinisahasarotra, Vakinimananara, Vakinidiana, Vakinisisaony ou Vakinampasina. Ceux que traversaient les rivières Sahasarotra, Mananara, Iadiana, Sisaony, Ampasina. Une fois que les douze collines auront été arasées en remblais bien épais sur les eaux du Betsimitatatra et du Laniera, même les noms géographiques d’Avara­drano ou d’Ambodirano deviendront des curiosités lexicales. «Arivo tatatra, zato renirano, faran’ny rano Ikopa»: le ohabolana est de moins en moins usité dans le langage courant, mais il en demeurera une géographie toute en poésie. Ce sont les eaux des Varahina, Ivo­voka, Mamba, Sisaony, Ampasimbe, Andromba, Iombifotsy, qui rejoignent successivement (à Alasora, à Ambohimanambola, à Ambohidratrimo, à Ampangabe, à Andranovory, à Bevomanga, à l’ Ouest d’Imerintsia­tosika), l’Ikopa dans sa course vers le Betsiboka. Et si le Betsiboka, au PK 336+700 de la RN4, ne devait plus laisser couler qu’un mince filet d’eau, il faudra s’inquiéter des étiages en cascade plus à l’Est, dans les Hautes terres. De mémoire de Tananarivien, jamais avant 2017, l’Ikopa n’avait pu se traverser à gué. Le fleuve par excellence, à sec avant le Farahantsana: une image de fin du monde. Les affluents taris en chemin. La nappe phréatique en sursis. Comme en témoigne la profondeur des puits qui descendent toujours un peu plus. À force, les forages atteindront le creux de la même roche dont la croupe porte la colline d’Antananarivo et son Manjakamiadana. La sécheresse sévit déjà dans le Grand Sud. Mais, ce n’est pas non plus l’abondance sur les Hautes terres, autour d’une Capitale surpeuplée mais dont on continue de gonfler la bulle. Et on croit faire moderne en exportant les maux d’ici vers la grande banlieue à force de bypass et de rocades tentaculaires dans les rizières. Il faut être poète, pour distinguer «des anneaux d’argent clair» dans l’eau ferrallitique de «L’Ikopa sinueux, aux ondes monotones» (Jacques Rabe­mananjara). Le limon arraché à Ikilonjy ou Mantasoa, Andramasina et l’Ankaratra, devient sous la plume, du poète encore, ces «fleuves avec leurs ondes d’or aux reflets éclatants (Jean-Joseph Rabearivelo). Au moins, et on s’en souviendra avec une nostalgie amère, ces poètes-là déclamaient-ils un pays de cocagne dont l’eau sur la grève, on attendrait vainement qu’elle tarisse, il en venait davantage (Flavien Ranaivo).
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