Les étrangetés d’une conspiration anti-française


Après la guerre décisive de 1895, la France considère son résident général, Hippolyte Laroche, trop indulgent voire trop faible vis-à-vis de la reine Ranavalona III et des « rebelles » qui la soutiendraient ou plutôt dont elle appuierait les actes. En 1896, le service de renseignements militaires français parle « des intelligences des rebelles à Tananarive ». Le 13 juin, le bruit se répand « tout à coup » qu’il a saisi les preuves d’une grande conspiration, dont le chef aurait été le secrétaire général du gouvernement malgache, en l’occurrence Rasanjy. La même rumeur indique que ce dernier est arrêté et accablé par des témoignages irrécusables et qu’il va être fusillé. Le lendemain, le chef de ce service, le lieutenant Peltier, fait part de cette importante découverte à Hippolyte Laroche. Comme il a déjà procédé à un certain nombre d’arrestations et, « craignant d’aller trop loin s’il prenait sur lui d’en faire encore », il présente au résident général français une liste de noms de présumés membres du Comité directeur des conjurés. Quatre jours plus tard, le général Voyron transmet à Hippolyte Laroche le dossier de l’affaire. D’après le document, une perquisition a été faite chez Ratsimba, dresseur de chevaux, qui a permis de découvrir un fusil à répétition et un revolver. Menacé de peine de mort et pour avoir la vie sauve, celui-ci indique une maison dans la partie est de la ville où des réunions suspectes se seraient souvent tenues le soir. Le locataire ou concierge du bâtiment, Ratsimamonjy, arrêté et interrogé, témoigne avoir vu des gens entrer et sortir pour, semble-t-il, « comploter l’expulsion des Français » selon le rapport de Peltier. Les conjurés d’Antananarivo formeraient cinq groupes, chacun détenant deux canons. Deux groupes se saisiraient du résident général et du commandant des troupes françaises pour les tuer immédiatement. Ratsimba et Ratsimamonjy auraient dénoncé leurs chefs. Pour Hippolyte Laroche, la liste des conjurés n’est pas banale et il se fait l’avocat de plusieurs d’entre eux. « Les officiers qui l’ont admise sans éclater de rires, ne pouvaient pas plus ingénument laisser voir à quel point ils sont étrangers aux choses malgaches, à la connaissance du personnel indigène de Tananarive. » De quelles personnalités s’agit-il? Outre Rasanjy, le premier nom cité est celui de Ralitera, 12 honneurs, petit-fils du Premier ministre Rainilaiarivony qu’il a accompagné à Alger. En rentrant à Madagascar, il passe un mois à Paris d’où il ramène « trente caisses d’armes », accuse-t-on. Ce que récuse Hippolyte Laroche qui affirme « qu’elles contenaient cinquante pantalons, un nombre correspondant de gilets, de redingotes et de cravates, une selle de dame, un costume d’amazone, des toilettes de ville et de soirée pour madame Ralitera, un vélocipède, etc. ». Et de le présenter comme « un très bon enfant joufflu d’une vingtaine d’années, inoffensif, désireux de notre amitié et sans la moindre aptitude au métier de conspirateur ». Le second nom est le prince Rakotomena, 17 ans. Neveu très aimé de la reine qui le traite en fils, il est aussi gâté par sa mère, Rasendranoro « qui ne lui a jamais donné de principes ni de bons exemples ». Porté sur l’alcool, il est surtout connu, avant 1895, par des aventures peu reluisantes. « Caractère passif, indolent, sans ressort », conclut le résident général. D’après ce dernier, depuis son arrivée en janvier 1896, la reine lui a fait part de son désir d’envoyer son neveu en France, mais il n’a pas été très enthousiasmé par cette idée, « soucieux d’offrir à l’un de nos lycées ce sujet profondément médiocre ». Il s’est contenté de demander à Ranavalona de le garder au Palais et de le surveiller de près pour qu’il n’aille pas en ville « faire des sottises ». En fait, toujours selon Hippolyte Laroche, « Rakotomena ne sort jamais, ne voit personne, se grise et ne conspire pas ». Et pour couper court aux suspicions dont le jeune prince est suspecté, il prévient la reine que son « enfant chéri » est libre d’aller en France. Elle ne se le fait pas dire deux fois et le met en route aussitôt. Troisième nom de la liste, Rainianjalahy, gouverneur de l’Ambodirano qui a été envoyé à Arivonimamo, six mois plus tôt, en tant que commissaire royal, à la suite de l’émeute de novembre 1895. Il travaille en étroite collaboration avec les officiers français de ce poste « qui ont toujours fait son éloge ». Et le résident général de commenter : « L’accolement de son nom à ceux de Rakotomena et de beaucoup d’autres conjurés forme un contraste énorme, qui n’est pas la moindre étrangeté de la conspiration découverte. »
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