Antananarivo et la malédiction-Capitale


Antananarivo se retrouve au cœur de trop d’enjeux en même temps. Il y a un problème général imminent d’approvisionnement en eau : faute de pluies, faute de lacs-réservoirs artificiels. Et la faute à un exode rural-régional-national qui a fait exploser la démographie, saturé les infrastructures et épuisé les ressources. Il y a un autre problème de dénaturation d’une Cité qui n’aurait jamais vu le jour sur son promontoire rocheux sans la promesse d’une mer de rizières dans le Betsimitatatra : un urbanisme absurde dans cette plaine, initié par les pouvoirs publics coloniaux et continué par l’administration malgache, a été relayé et amplifié par des «promoteurs» de lotissements qui n’ont cure d’histoire ni de démarche identitaire. Il y a un troisième problème d’ego qui veut se greffer sur cette histoire d’Antananarivo, surtout en sa partie royale dont décidément s’entiche la République : alors que le Rova d’Antananarivo n’aspirait qu’à s’assoupir après la défaite et l’exil de la dernière souveraine, Gallieni et ses successeurs cherchèrent à s’inscrire dans l’héritage d’une royauté qu’ils avaient abolie, tandis que les présidents successifs de la République n’ont jamais su entretenir une relation «objective» avec ce Rova d’Antananarivo que l’incendie criminel du 6 novembre 1995 a remis au cœur des passions. Les tombes royales des Fitomiandalana vandalisées. Un immense lycée bâti à Andohalo pour concurrencer la visibilité verticale de Manjakamiadana. Un amphithéâtre anachronique construit dans la cour même du Rova. Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que le Conseil des Ministres du 10 novembre 2021 officialise les «travaux de construction et d’aménagement des infrastructures du Transport par câbles Téléphériques à Antananarivo». Que, comme le justifie le communiqué officiel, ce «mode de transport (puisse être) adapté aux spécificités de la Capitale», peut-être serait-ce vrai pour Itaosy, Mahazoarivo ou Ambatobe, mais pas sur la partie la plus historique d’Antananarivo : la Haute Ville qui est son coeur, abrite son âme et porte son «Hasina». Ma réflexion sur la question ne date pas que de ce dernier Conseil des Ministres. Dans une Chronique du 27 janvier 2018, je déplorais déjà ce qu’était en train de devenir Antananarivo : «Nous avons clairement mal à notre ville, Antananarivo. Une malédiction capitale. Si Antananarivo n’avait pas été la Capitale, jamais le Rova d’Antananarivo n’aurait été incendié en 1995, ni le palais d’Andafiavaratra brûlé, en 1976 : chaque fois pour de basses manoeuvres politiciennes. Ni la plaine du Betsimitatatra ou les eaux de Laniera remblayées inconsidérément par des promoteurs immobiliers qui résidentialisent à outrance Antananarivo la rendant chaque fois un peu moins habitable. Ni la démographie devenue aussi galopante et exponentielle pour une Ville qui devait rester symbole, littéralement, la-ville-aux-mille-villages/la-ville-au-milieu. Ni des clivages de type ghetto (les deux quartiers des «67 hectares» et de la Cité Ambohipo, cette dernière phagocytée par une cité universitaire devenue hors de contrôle et qui n’a plus d’universitaire que le nom) menacer un développement qui aurait pu continuer de courir sur une erre plus tranquille, à lui propre, pour ainsi dire plus naturelle. Cette «malédiction capitale» de l’Antananarivo historique empiète désormais sur le Grand Tana proprement des douze collines». L’honneur, d’abord insigne, d’avoir été maintenue Capitale de Madagascar par le Gouverneur Général Gallieni deviendra progressivement cette «malédiction capitale». En écrivant, le 21 août 2014, «Antananarivo : de ville-Capitale à ville-Métropole», je ne sais plus si je m’enthousiasmais ou si je me catastrophais du défi pour ma ville ancestrale d’être à la fois Ville et Région, Ville et Province, Ville et Pays. La sauvegarde de la plaine du Betsimitatatra est un combat au quotidien avec la seule arme du bon sens contre les millions ou le milliard promis à chaque mètre carré remblayé. Mais la préservation de l’authenticité de la Ville-Haute d’Antananarivo est une tâche plus complexe à cause des facteurs que convoquent naturellement ce haut-lieu : c’est que, du haut d’AnalamangaAntananarivo, cinq siècles nous contemplent. La Chronique du 21 septembre 2021, «Faut-il un téléphérique à Andohalo ?», réunissait l’essentiel des objections : «Il y a très longtemps, une vingtaine d’années, j’avais pu émettre l’idée d’un téléphérique entre les deux collines d’Antananarivo et d’Ambohijanahary. Idée folle qui ne tenait pas compte des infrastructures lourdes que cela aurait supposé et des diverses pollutions induites : pollution visuelle dans le paysage, survol de maisons privées dont l’intimité serait dévoilée, etc. Je ne me souviens plus si, dans mon délire d’alors, j’avais prévu que les pylônes géants prendraient racine dans la plaine et non sur le rocher déjà passablement fatigué de la Haute-Ville d’Antananarivo. Et si lesdits pylônes, pour se conformer à l’esthétique architecturale de céans, aurait configuré une Trano Gasy longiligne (...) Pour la survie d’une Capitale qui risque de s’affaisser sous le poids de son propre gigantisme, les prochaines années seront employées à drainer activités et populations en dehors d’Antananarivo et à retenir l’exode régional (de l’Imerina et de tout Madagascar) sur de nouveaux pôles de décentralisation». Aujourd’hui, pour sauver Antananarivo, sans doute faut-il la rendre à son histoire d’avant le XXème siècle. La Haute-Ville d’Antananarivo était alors un centre politique et religieux, pas un carrefour touristique. Le pied de son «Y» se terminait en cul-de-sac au précipice d’Ambohipotsy, aujourd’hui hideusement occupé jusqu’à occulter totalement une vue autrefois panoramique sur tout le Sud de l’Imerina jusqu’à l’Ankaratra. Que cette Haute-Ville soit peu accessible, mais c’est tant mieux. La Haute-Ville d’Antananarivo n’a pas vocation à la surpopulation déjà observée, et déplorée, dans ce Betsimitatatra qu’un aménagement sur remblais tue méthodiquement depuis le début du XXème siècle. C’est à ce titre que la Haute-Ville d’Antananarivo aura une dernière chance d’être distinguée, au même titre que d’autres témoignages humains remarquables, comme patrimoine mondial par l’UNESCO.
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