The times they are a changing


Habitué chaque année à attendre vainement l’annonce, par l’Académie suédoise, de l’apothéose d’un nom connu de la littérature comme celui de Salman Rushdie, de Haruki Murakami ou de Joyce Carol Oates, je suis également accoutumé à une frustration annuelle : la conséquence de la victoire d’un autre nom. Cette année, cette frustration a été décuplée. Une déception qui a débuté le jour où l'information sur le report de l'attribution du prix Nobel de littérature est tombée, jusqu'à la confirmation par la clôture sans littérature de la saison des Nobel. Comme cette année, les lettres n'ont pas été au rendez-vous, pour soulager cette frustration et en guise d'exutoire, revenons sur le lauréat de 2016 qui a divisé le monde littéraire. Personnel­lement, j’ai été du côté de ceux qui ont salué la reconnaissance, par l’attribution d’un prix d’une envergure incommensurable, d’un artiste du verbe qui a « créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine ». L'oeuvre de Robert Zimmerman, alias Bob Dylan, a été récompensée là où certains ne l'attendaient pas du tout. D'où les cris outrés qui ont suivi: un praticien d'un art qui est, selon les mots de Serge Gainsbourg, mineur peut-il s'ajouter à une liste sur laquelle sont gravés pour l'éternité des noms prestigieux comme ceux d’Albert Camus, de Rudyard Kipling, de Gabriel Garcia Marquez, d’Ernest Hemingway... La littérature et la chanson: deux univers bien distincts? Tout d'abord, affirmer que ces deux domaines n’ont rien à voir l’un avec l’autre, c’est mal connaître l’histoire de la littérature. Exclure la chanson, c’est aussi rejeter des œuvres majeures du patrimoine littéraire mondial comme la Chanson de Roland. Réduire la littérature aux livres et ainsi renier l’apport de la tradition orale, c’est condamner à une Damnatio memoriae (« Damnation de la mémoire ») des chefs-d’œuvre littéraires fondateurs, chantés et récités avant d’être des textes écrits, comme ceux attribués à l’aède légendaire Homère : l’Iliade et ses vingt-quatre chants, l’Odyssée,… C’est renier l’existence de la littérature orale contrairement à chez nous où, heureusement, les kabary et les hain-teny jouissent encore d’une haute estime dans le milieu littéraire. La littérature n’est pas seulement l’apanage de ceux qui arborent le titre d’écrivain, elle est présente quand on parvient à donner de l’éclat aux mots, quand jouer avec ces derniers fait atteindre au verbe une dimension esthétique qui nous prend aux tripes. Dans cet exercice de sublimation du verbe, Bob Dylan, comme le lauréat de 1953 Winston Churchill qui n’était pas non plus un professionnel de la littérature, est au-dessus de beaucoup d’écrivains. Quand on est conquis par son génie poétique, se lasser est difficile même quand la politique s’invite comme dans Masters of War ou dans Hurricane. L’avalanche de poésie qui nous inonde, à chaque fois que Like a Rolling Stone ou Desolation Row traversent nos tympans, est tout simplement incomparable. Tout cela pour dire que le talent de Bob Dylan n’a pas démérité son prix Nobel. Pour finir, malgré l’attribution d’un prix Nobel alternatif à Maryse Condé, vingt-cinq ans après la consécration de Toni Morrison, la première femme noire primée, cette année sans prix Nobel de littérature a été celle des frustrations dont la plus intense aura été le fait que l’Académie suédoise n’a pas pu donner cette récompense ultime à un autre génie de la littérature disparu cette année : Philip Roth. par Fenitra Ratefiarivony
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