Foot sans couvre-feu


Je suis un de ces nombreux orphelins d’une équipe de proximité en qui s’identifier. Pourquoi l’Allemagne, et par extension le Bayern, sans doute par esprit de contradiction quand mon père et mon grand-père supportaient presque «naturellement» la France et Saint-Étienne. J’avais d’abord suivi mon grand-père et mon père dans les tribunes de Mahamasina, avant de m’installer en leur compagnie devant le téléviseur noir et blanc de cette époque. Puis, l’agenda de la Coupe du monde, de l’Euro ou de la Ligue des Champions devint prétexte à beuverie entre copains: «à l’âge de bière, l’homme vivait dans les tavernes». L’autre triste soir de Real-Bayern, épisode 2017, on était entre hommes, mon fils et moi. Trente-cinq ans d’une passion masochiste ou la magie du foot : pas le sport le plus ceci, mais rien de moins que cela (Chronique VANF, Le prétexte football, 20 avril 2017). Les confrontations Allemagne-France n’ont même pas lieu tous les deux ans en Coupe du Monde ou à l’Euro (la Ligue des nations étant une de ces compétitions inventées juste pour la billetterie et les droits télé) : ce soir, 15 juin 2021, ne sera jamais que la quatrième fois depuis juillet 1982. J’allais sur mes douze ans, ce 8 juillet 1982, et la France menait 1-3 face à l’Allemagne dans les prolonga­tions. Entré juste avant le troisième but français, KarlHeinz Rummenigge allait marquer à la 102ème, imprimant le tempo d’une remontada (un mot qui n’existait pas encore) qui vit la RFA se qualifier pour la finale de la Coupe du monde: «La France a calé, l’Allemagne a Kalle» pouvait-on éditorialiser en Andalousie. Quatre ans plus tard, après une seconde défaite en finale du Mundial 86, d’autres chroniqueurs pouvaient conclure que «les vieilles stars allemandes ne seront jamais couronnées». Championne d’Europe 1980, Vice-championne du Monde 1982 et 1986 : cette génération «Kalle» Rummenigge et «Toni» Schumacher m’a donné envie d’aimer la Mannschaft. Une passion dolorosa quand l’histoire a déjà oublié la finale perdue de la Coupe du Monde 2002 ou les troisièmes places aux Euro 2012 et 2016, alors que je n’ai oublié aucun des ballons perdus ni chaque occasion manquée. Une folie douce tout de même récompensée avec les titres mondiaux de 1990 et 2014, ainsi que l’Euro 96. Nous voici en 2021, et deux compétitions continentales qui vont sceller la carrière de plusieurs joueurs. Pour Cristiano Ronaldo, 36 ans, l’Euro sera l’ultime compétition avec le Portugal. Comme la CopAmerica 2021 représente la dernière chance pour Lionel Messi, 34 ans, de gagner enfin quelque chose avec l’Argentine. Si Zlatan Ibrahimovic, bientôt 40 ans, n’était pas blessé, il aurait pu disputer là son cinquième Euro, comme CR7. Ronaldo a son destin au bout des pieds (et même de la tête): faire encore mieux que ses déjà 104 buts en matchs internationaux (face à des adversaires UEFA autrement plus sérieux que ceux de la confédération asiatique où évoluait l’Iranien Ali Daei, quasi-inconnu, et ses improbables 109 buts). D’ailleurs, quand un K. Mbappe aura réussi, comme Ronaldo, à marquer 100 buts dans trois grands clubs différents (118 buts à Manchester United, 450 buts avec le Real Madrid, et 100 buts avec la Juventus Turin depuis le 12 mai 2021) et passé la barre des 100 buts en Ligue des Champions (la compétition footballistique de référence planétaire), alors, il sera temps de rejoindre le choeur de ceux qui lui tressent déjà des lauriers de superlatifs après des victoires sans péril dans un championnat de France sans gloire. C’est le genre de polémique sans fin dans la convivialité d’un bistrot et chope à la main. On pourrait en discuter devant grand écran puisque Euro et CopAmerica passent sur Canal+ ou BeIN. Une aubaine pour les bars et restaurants de se refaire après un confinement catastrophique. Sauf que le direct se déroule à 22 heures de Madagascar. Et qu’un couvre-feu subsiste dès 23 heures. Après 39-45, les Européens ont eu l’intelligence d’inventer les coupes d’Europe des villes pour éviter que les nations ne se tapent dessus. Un défoulement de hooligans anglais, allemands ou russes, est toujours préférable à un tapis de bombes sur Dresde, les V2 sur Londres, ou Paris à portée des orgues de Staline. Bien sûr, après chaque «Heysel», on dira toujours qu’il leur faudrait une bonne guerre. Mais, justement, le football a conjuré la guerre ! Les bars et restaurants en nocturne renfloueraient l’économie. La fatigue nerveuse accumulée depuis mars 2020 trouverait là à se libérer pacifiquement. Quand deux monstres du tennis n’en avaient toujours pas fini avec leur demi-finale de Roland-Garros, le gouvernement français a exceptionnellement autorisé le public à rester au-delà du couvre-feu. À situation historique, réponse qui fera date.
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