Questions à Christian Rasoamanana - « Il faut savoir donner la chance aux jeunes diplômés africains »


Expert en PPP, lauréat du Zama Awards 2019, récompensant le meilleur dirigeant de la diaspora. Christian Rasoamanana, met en exergue le potentiel de la jeunesse africaine qui n’est pas exploitée à sa juste valeur. • Lauréat du Zama Awards catégorie dirigeant, pouvez-vous nous décrire votre parcours en quelques lignes ? - Par parcours, vous entendez le passé et pourtant j’ai envie de vous parler d’avenir. Alors je vais être bref : j’ai passé 22 ans extrêmement riches dans l’industrie du financement de projet d’infrastructures et des PPP (Partenariat Public Privé) dont plus de 10 ans à la tête du département Infrastructure et Financement de projet de PwC France. Mon métier : conseiller tantôt les États ou les collectivités locales tantôt les industriels, développeurs ou encore des fonds d’investissement, dans le montage et le financement de projets d’infrastructure. J’ai eu la chance de travailler sur des projets variés comme des autoroutes, des aéroports, des stades, des usines de dessalement d’eau de mer, des centrales électriques, des réseaux de fibre optique et d’autres et j’ai eu l’opportunité de le faire sur des géographies diverses, en Europe, bien sûr, mais aussi au Moyen-Orient, en Amérique Latine et en Afrique dont Madagascar. • On comprend que vous avez évolué. Parlez-nous alors de votre actualité ? Effectivement j’ai évolué. Il y a le pourquoi et le comment. J’ai eu la chance de travailler dans un secteur clé : les infrastructures. Ceux-ci ont de particulier qu’ils sont littéralement structurants, structurants pour les régions et les pays dans lesquels ils sont mis en œuvre, impactant pour la population et les entreprises qui en bénéficient directement et indirectement. Avoir de l’impact : voilà mon nouveau leitmotiv. Dans le domaine des infrastructures, c’est peu de le dire que nos économies africaines souffrent d’un déficit important. A cet égard, mon expérience africaine m’a laissé bien des frustrations : frustration de voir peu de projets se réaliser alors que les besoins sont considérables et que contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas une question d’argent. Frustration aussi de voir une jeunesse talentueuse laissée à l’écart de ces projets, comme si la complexité de ces derniers ne pouvait rimer avec les compétences locales. Voilà pourquoi j’ai créé, depuis mai 2019, une société de conseil spécialisée en modélisation financière dénommée First Engine Advisory. Sa particularité : une structure fière d’avoir des compétences 100% africaines et qui revendique une approche socialement responsable, à savoir donner la chance aux jeunes diplômés africains d’accéder à un métier en ligne avec leurs formations. J’ai raconté, lors de la cérémonie, une anecdote sur le chauffeur de taxi titulaire d’un doctorat en mathématiques qui m’avait conduit lors d’un séjour en 2014. First Engine Advisory est une réponse à cette anecdote puisque mon premier bureau ouvert est à Antananarivo. Je profite de cette tribune pour remercier M Faniry Randriamahaleo du Département de Mathé­matiques et Informatique de l’Université d’Antana­narivo qui m’a trouvé des talents malgaches, talents que j’ai pris le temps de former ces derniers mois et qui vont être les pionniers à Madagascar d’un nouveau métier : la modélisation financière. C’est un métier clé car le modèle financier est au cœur de tout projet d’infrastructure, de tout projet d’investissement. Par ailleurs, j’ai créé, avec d’autres associés africains, une fondation privée à but non lucratif, InfraResources, que je préside et dont la vocation est d’appuyer les États africains dans la maîtrise d’ouvrage des projets de développement envisagés en PPP. Nous aurons l’occasion, j’espère, d’en reparler. • Le concours désigne la crème de la diaspora. Selon vous, quels ont été vos principaux atouts pour avoir été désigné lauréat ? - Toutes les personnes qui ont été nominées ont un parcours exceptionnel et je ne pense pas qu’il y ait de gagnant ou de perdant. Ceci dit, je comprends que le jury a voulu récompenser ceux qui avaient un engagement plus marqué pour Mada­gascar. Pour ma part, je veux dire que cette récompense m’honore mais au-delà, elle m’oblige.J’y vois un encouragement à l’implication de la diaspora pour le développement de notre pays où qu’elle soit. J’y vois un encouragement à l’excellence mais une excellence qui doit, à un moment ou un autre, être au service du pays. J’y vois un encouragement à la démarche de partage d’expériences, de transmission de savoir. Nous devons accepter d’être parmi les premiers de cordée, ceux qui tirent vers le haut. Merci à Zama pour son initiative à travers ces awards de véhiculer le positif car le positif est contagieux. J’ai encore été frappé, hier, soir par le nombre de talents au sein de la Diaspora et ceux dans des secteurs aussi divers que l’industrie, la finance, l’art, la recherche, la communication, le digital et j’en oublie d’autres. Imaginez un instant ce qu’on pourrait tirer de cette force. • Le Zama awards prône le partage d’expériences. Votre parcours sur les PPPs peut valoir son pesant d’or sur les projets infrastructurels en cours au pays. Vos points de vue sur les concepts de Tana-Masoandro, Miami etc ? - Je ne peux qu’encourager le président et son gouvernement à développer les projets d’infrastructure. Le développement de villes nouvelles pour désengorger les métropoles n’est pas une idée nouvelle, notamment en Afrique. Le projet en cours et qui fait beaucoup parler de lui de par son côté pharaonique étant la construction de la nouvelle capitale égyptienne. On peut citer aussi Diamniadio au Sénégal pour désengorger la capitale Dakar. Dans un contexte marqué par des liquidités d’investissements abondantes dans le monde, l’idée d’attirer ces ressources via les PPP fait plus que du sens. C’est un mode de réalisation des projets d’infrastructures reconnu et recherché par les différentes parties tant publiques que privées en passant par les investisseurs et bailleurs de fonds internationaux. À condition de respecter le partage des responsabilités et des risques qu’imposent ces montages. • Des suggestions sur des axes d’améliorations sur ces grands projets ? - La clé de réussite des PPP passe par la qualité de la phase de préparation avant la mise sur le marché des projets. Et cette phase, ô combien cruciale, doit rester, sous la responsabilité des États maîtres d’ouvrage. Je ne cesse de marteler ce message. Elle ne peut et ne doit pas être déléguée au secteur privé sous prétexte, notamment, de manque de moyens financiers. D’ailleurs, le privé cherche rarement à intervenir à un stade aussi amont des projets. À chacun ses responsabilités. Un projet comme Tana-Masoandro est un projet complexe faisant intervenir de nombreux enjeux de développement durable : enjeux d’aménagement du territoire, enjeux environnementaux y compris de prise en compte du changement climatique, enjeux de mobilité, enjeux de sécurité, enjeux socio-économiques, qu’il faut envisager simultanément et, souvent, le manque de coordination de ces enjeux empêche les investisseurs et les bailleurs de fonds de participer. Donc PPP, c’est préparation, préparation et préparation avant tout.  
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