Vivre ensemble ou réussir ensemble - Quel choix pour un développement durable ?


Souvent, il est admis qu’une entreprise reflète l’identité de son créateur. Mais le créateur d’entreprise, lui, ne reflète-t-il pas l’identité culturelle de la Société dans laquelle il a évolué ? Dans ce cas, n’est-il pas concevable de penser que le management d’entreprise est fortement influencé par la culture environnante ? À Madagascar, sans que l’on puisse réellement définir la période durant laquelle la culture a basculé, la société est passée de la culture du « miara-belona » (réussir ensemble) à la culture du « miaramonina » (vivre ensemble). Toutefois, les impacts dans la société malgache sont aujourd’hui flagrants. Les valeurs ancestrales telles que le Fihavanana, la solidarité et l’entraide, transmises à travers des proverbes comme « Izay mitambatra vato, izay misaraka fasika », « Entajaraina mora zaka » ou encore « Tanana havia sy havanana koa izay didiana maharary », ont été remplacées par des pensées individualistes, égocentriques ou sectaires, visibles à travers les textes des chansons populaires telles que « Samy mandeha samy mitady », « Tô tsy volan’i babanao ». D’autres signes extérieurs de perte de valeurs fondatrices d’une société s’y ajoutent, comme la discipline, le respect des biens communs ou encore le souci des héritages pour la postérité. Ainsi, il devient primordial de réfléchir sur les conséquences de ce changement culturel dans le management d’entreprise, en se demandant si la pérennisation du style de management centré sur le modèle capitalistique n’est pas la première source de pauvreté dans la société malgache, renforçant une culture de  l’individualisme et du sectarisme. Les indicateurs de développement communément utilisés mesurent généralement les productions des entreprises sur le plan national, notamment la balance commerciale et le taux de croissance économique. Au niveau des entreprises, ces indicateurs se traduisent par le suivi de l’évolution des chiffres d’affaires, l’évolution de la part de marché de l’entreprise, la rentabilité financière des investissements, la capacité d’autofinancement, etc. Certes, l’évolution du taux de rotation des salariés ou leur niveau de satisfaction sont également mesurés par certaines entreprises dans le but de les fidéliser. Mais il est rare de trouver des entreprises qui mesurent l’évolution du pouvoir d’achat et du niveau de vie de leurs salariés, en dehors des cadres dirigeants et des cadres supérieurs, lesquels ne représentent qu’une infime partie de leur personnel. En effet, si nous prenons l’hypothèse qu’en moyenne, il y a un ratio d’un cadre supérieur pour cinquante employés et d’un cadre dirigeant pour cent employés, l’impact de l’existence d’une entreprise florissante employant dix mille personnes ne profite qu’à trois cents familles, soit un rapport de mille cinq cents contre cinquante mille individus sur une base de cinq membres par famille à Madagascar. En ramenant ce chiffre au niveau national, cela ne représente que sept cent cinquante mille personnes pour toute la population malgache. Le mode de management et le style de vie de ces sept cent cinquante mille privilégiés deviennent, par la suite, le modèle par excellence des salariés et de la jeunesse. La frénésie de l’ascension sociale rapide et de l’argent facile s’empare alors d’un grand nombre d’individus. Situations perverses ou dépendantes D’un côté, ceux qui ont l’opportunité de faire des études universitaires aspirent alors à devenir très rapidement un cadre supérieur, et ceux qui n’ont pas pu développer des compétences spécifiques s’aventurent dans la spéculation légale ou illégale appelée péjorativement « business ». Ce qui entraîne, par ailleurs, la recrudescence des trafics illicites en tout genre, de la corruption et de l’insécurité renforçant encore la pauvreté de la majorité vulnérable. Des salariés n’hésitent pas à voler leur propre entreprise d’une manière ou d’une autre. Si ce n’est pas sous forme de surfacturation ou de favoritisme au détriment de l’entreprise, ce sera une collusion avec les clients ou les fournisseurs toujours au détriment de l’entreprise, ou du moins en prenant dix à quinze minutes par jour sous forme de retard ou de ralentissement de la production, ou bien de réduction de la productivité en espérant faire des heures supplémentaires plus tard pour honorer les délais de livraison. De l’autre côté, ceux qui sont privilégiés par le système de management, c’est-à dire les sept cent cinquante mille cadres dirigeants et cadres supérieurs, renforcent leur style de management pour sauvegarder leurs acquis. Un certain nombre d’entreprises proroge le contrat des cadres dirigeants et cadres supérieurs au-delà de la retraite. Ce qui réduit la possibilité pour les jeunes d’accéder à ces postes à responsabilité. D’autres maintiennent volontairement les salariés dans la dépendance économique permanente à travers la définition et la mise en œuvre d’une politique de rémunération injuste et démotivante. Dans la même foulée, citons aussi la quasi-absence de plan de formation permettant aux salariés de développer leurs compétences, donc d’accéder à une certaine autonomie. En effet, la quasi- totalité des salariés qui poursuivent leurs études à travers des formations continues qualifiantes ou diplômantes, s’autofinance et un grand nombre se cache pour le faire. Quid de la durabilité ? En combien d’années, un tel système de management qui maintient la force productive de l’entreprise dans la dépendance d’une part, et qui engendre la frustration de la quasi-totalité de la relève d’autre part, pourra-t-il subsister ? Nul ne peut répondre, de manière certaine, à cette question. Mais la précarité de ce système apparaît de plus en plus aujourd’hui, à travers les réactions violentes des salariés et des victimes dans les soidisant pays développés dont les échos nous parviennent à travers les médias sociaux et les médias traditionnels. Séquestration de dirigeants d’entreprise ici, kidnapping là ; grève générale d’un coté, détérioration des biens de l’autre… Et la liste est longue. On ne peut pas ignorer également le phénomène de « burn-out » des cadres ou cadres intermédiaires engendré par l’accumulation de stress due souvent à la recherche d’une performance de plus en plus accrue et à l’incapacité de dire non. La peur de rentrer dans la disgrâce des décideurs donc de perdre la possibilité d’avoir une promotion y est encore pour quelque chose. Par ailleurs, le cas extrême de suicide a défrayé les chroniques un moment. Dans certains cas, las de se battre, n’entrevoyant plus d’issue dans la compétition professionnelle sans merci dans certaines entreprises, les salariés perdent espoir. Certains se suicident, privant d’un coup l’entreprise d’une éventuelle ressource nécessaire à son développement tout en impactant négativement sa marque d’employeur. Y-a-t-il un autre style de management qui pourra supplanter ce modèle ? La réponse est OUI. Toutefois, il exige un changement radical de la perception du management d’entreprise et de la finalité même de l’entreprise de demain, c’est-à dire d’aujourd’hui, car le futur est déjà là et il se prépare maintenant. Ce nouveau style de management nécessite, pour tout dirigeant d’entreprise, de sortir de la logique dominante d’aujourd’hui pour se projeter, dès à présent, dans la logique de demain. Passer du modèle standard actuel « Gagnant-Perdant » vers un modèle « Gagnant-gagnant » illustré par la sagesse populaire malgache d’antan à travers le proverbe bien connu « Teri-omby ririnina, ka sady tsy mahabotry ny zanany no tsy mahafaty an-dreniny ». Accepter de chercher à faire gagner les autres pour gagner soi-même. En d’autres termes, manager pour que tous puissent gagner et non pas pour ne pas perdre. Ce style de management est-il véritablement nouveau ? NON. Si la culture du « Vivre ensemble » du présent repose essentiellement sur une culture d’acceptation de l’inégalité sociale comme une loi naturelle à assimiler par chaque citoyen, si le respect des systèmes et structures qui le soutiennent, y compris dans les entreprises commerciales, est une condition, ce style de management est une utopie. Pire encore, au cas où un citoyen lambda ne serait pas satisfait de sa situation, l’unique voie qui s’offre à lui est d’entrer en compétition avec les autres au sein même de sa communauté. À l’opposé, le passé a démontré l’efficacité de la culture du « Réussir ensemble » à travers la collaboration constructive qui permettait au roi Andrianampoinimerina de créer les rizières du Betsimitatatra et d’éradiquer la famine de l’époque ; ou au roi Radama de construire le canal des Pangalana qui profitent encore à la majorité jusqu’à ce jour. Dans ce cas, le management d’aujourd’hui ne devrait-il pas s’inspirer de l’histoire pour passer du concept de la mise en compétition des ressources humaines vers un modèle collaboratif profitant durablement à tous ? Chacun est libre de choisir sa voie, mais le manager qui fera le bon choix sera certainement parmi les futurs modèles de demain.
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