Chronique de VANF : Même pas peur d’un schisme


L e Pape s’adressant à un parterre de journalistes sur fond de logo «Air Madagascar». La scène se passait dans l’avion de notre compagnie nationale qui le ramenait en europe après sa tournée dans l’Océan Indien. Bizarre d’ailleurs que je ne vois pas, reprise plus massivement par Air Madagascar, cette image du Pape associée aux couleurs de la compagnie : Jorge Mario Bergoglio saluant à la porte de l’avion sous les grosses lettres du fuselage «Air Madagascar». Le Pape, «Souverain pontife», «Vicaire du Christ», «Successeur du prince des apôtres», voyageant sur Air Madagascar, quelle meilleure assurance tous risques contre les turbulences financières et les trous d’air économiques... Mine de rien, mais le moment était historique. Dramatique, peutêtre le saura-t-on un jour, mais historique, déjà. On retiendra que c’est à bord d’un avion d’Air Madagascar que le Pape de l’Église catholique a prononcé le mot «schisme». Schisme, mot terrible, qui nous ramène à 1054 (16 juillet) qui a vu la séparation entre l’Église de Rome et l’Église de Constantinople, l’Occident étant représenté par Léon IX (Pape de 1049 à 1054) et l’Orient incarné en Michel Cérulaire (Patriarche de 1043 à 1058) : il n’est pas indifférent de noter que les deux protagonistes n’ont pas survécu longtemps au schisme qu’ils avaient provoqué. Nous autres profanes, extérieurs à la Curie romaine et donc ignorants du rapport des forces inévitablement à l’oeuvre dans toute structure humaine, n’avons aucune idée de ce que ses détracteurs ourdissent contre le premier Pape jésuite de toute l’histoire du Vatican. Les intrigues entraperçues dans la série «The Young Pope» (Jude Law dans le rôle du Pape Pie XIII) doivent être bisounours comparées aux reproches de communisme ou d’hérésie que l’Église catholique américaine adresse au Pape François. Dommage que les centaines de milliers de catholiques malgaches ne soient pas mieux instruits de ces vulgarités cardinalices qui desilleraient leur foi aveugle. Je suis convaincu qu’on croit mieux, quand on en sait plus : croyance sans ignorance, quelque part intelligence. C’est un autre Pape, Paul VI (dont les portraits ornaient les murs du Collège Saint-Michel à l’époque où j’y arrivais au Petit Collège) qui, en annonçant la «réforme du Saint-Office», disait que «L’Église, qui est d’institution divine et traite des choses divines, est composée d’hommes et vit parmi les hommes». Il aura fallu attendre 911 ans, 16 juillet 1054 au 7 décembre 1965, pour que se rapprochent Église catholique et Église orthodoxe, avec la déclaration commune du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras 1er de Constantinople : «Parmi les obstacles qui se trouvent sur le chemin du développement de rapports fraternels de confiance et d’estime, figure le souvenir des décisions, actes et incidents pénibles, qui ont abouti, en 1054, à la sentence d’excommunication portée contre le patriarche Michel Cérulaire et deux autres personnalités par les légats du siège romain, conduits par le cardinal Humbert, légats qui furent eux-mêmes ensuite l’objet d’une sentence analogue de la part du patriarche et du synode constantinopolitain». Le texte de cette déclaration est tellement précautionneux qu’on se demande dans laquelle des langues, française du texte de Rome ou grecque de Constantinople, les auteurs ont trouvé les meilleures formules : «des conséquences dépassant, autant que nous pouvons en juger, les intentions et les prévisions de leurs auteurs dont les censures portaient sur les personnes visées et non sur les Églises et n’entendaient pas rompre la communion ecclésiastique entre les sièges de Rome et de Constantinople» (...) «regretter les paroles offensantes, les reproches sans fondement, et les gestes condamnables qui, de part et d’autre, ont marqué ou accompagné les tristes événements de cette époque» (...) «regretter également et enlever de la mémoire et du milieu de l’Église les sentences d’excommunication et dont le souvenir opère jusqu’à nos jours comme un obstacle au rapprochement» (...) «déplorer les fâcheux précédents et les événements ultérieurs qui, sous l’influence de divers facteurs, parmi lesquels l’incompréhension et la méfiance mutuelles, ont finalement conduit à la rupture effective de la communion ecclésiastique». Notons que l’appelation «Constantinople» est abusive puisque l’acienne Byzance, puis Constantinople, est devenue Istanbul depuis sa conquête par les Turcs en 1453. Le Patriarche orthodoxe a son siège au Phanar, un quartier d’Istanbul. Toujours dans le cadre de ces retrouvailles en pointillés, eut lieu la première rencontre entre un Pape catholique (François) et un Patriarche de Moscou et de toute la Russie (Kirill). C’était le 12 février 2016, à La Havane, capitale de Cuba : «Cuba, à la croisée des chemins entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, de cette île, symbole des espoirs du «Nouveau Monde». Les deux chefs religieux avaient choisi Cuba pour, disaient-ils, se retrouver «loin des vieilles querelles de l’Ancien Monde». Le cinquième paragraphe de cette déclaration commune est douloureusement amer : «Malgré (la) Tradition commune des dix premiers siècles, catholiques et orthodoxes, depuis presque mille ans, sont privés de communion dans l’Eucharistie. Nous sommes divisés par des blessures causées par des conflits d’un passé lointain ou récent, par des divergences héritées de nos ancêtres». Mille ans donc pour que rancunes et rancoeurs s’apaisent. Mille ans ou «des conséquences dépassant les intentions et les prévisions de leurs auteurs». Mille ans ? Le Pape François, dans l’avion d’Air Madagascar, a dit qu’il n’avait même pas peur.
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