Au-delà du manichéisme


La guerre russo-ukrainienne occupe incontestablement le trône du royaume médiatique. Il règne encore en maître incontesté de l'actualité. Et cette domination est marquée par un manichéisme dans lequel semblent piégés ceux de qui on obtient les rapports quotidiens sur l'évolution de la situation et ceux qui font la lecture se départissent difficilement des œillères de cette vision dualiste qui fait voir la situation comme une confrontation, un choc du bien contre le mal. C’est donc, d’après ceux dont les yeux ont été éduqués à porter les lorgnons de certaines valeurs particulières, plus qu’un combat, c’est une guerre sainte, une forme moderne des croisades médiévales menée par les chevaliers du Bien contre les possédés du Mal. Rappelons-nous pourtant que, selon Pascal, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Les informations qui nous parviennent sont, pour la plupart, passées par le filtre occidental dont le mode de fonctionnement est foncièrement manichéen. Combien de potentats, de « tyrans », de « despotes» classés, d’après les lorgnons de ces cultures étrangères aux leurs, dans la famille du « Mal » ont été supprimés mais dont l'élimination a plongé les pays « libérés » dans la crise au lieu de les relever ? Et aujourd'hui, un club de football, champion d’Europe en titre, et ses salariés sont menacés par la faillite parce que son propriétaire appartient à cette grande famille du « Mal », le clan dont les actes peuvent évoquer les mêmes justifications que celles des Américains qui ont imposé, lors de la crise des missiles de 1962, un blocus maritime à Cuba. Interviewé par le Playboy américain, Jean Genet a dit : « Je ne connais pas bien l’Amérique mais, d’après ses films, je crois que, pour mieux se préserver, pour se garder intacte, elle a inventé une sorte de gangster qui incarne à peu près totalement le Mal. Ces gangsters sont naturellement imaginaires. L’Amérique a dressé devant elle un gangster imaginaire de telle façon qu’on ne puisse pas l’identifier, elle, l’Amérique, avec le Mal.» Le cinéma américain a essentialisé le Mal en lui donnant des corps, ceux des gangsters ou ceux des Indiens que doivent combattre les cow-boys qui sont les représentants du « Bien ». Le « Mal » a maintenant de nouveaux visages. Suivez mon regard. Nietzsche a critiqué cette tendance naïve à voir le monde comme le champ de bataille du Bien contre le Mal. Pour lui, « les morales ne sont qu’un langage figuré des passions ». Ce passage est extrait de son ouvrage qui invite à considérer les actions et les passions humaines Par-delà le bien et le mal (1886). Et des fois, pour sortir d’un subjectivisme irrationnel, nos pensées et opinions doivent aller au-delà du manichéisme.
Plus récente Plus ancienne