De 7 à 77 ans : Tintin et la Coccinelle


Deux petits événements ont été occultés par nos deux longs mois (7 novembre 2018 - 8 janvier 2019) de préoccupations électorales. Les 90 ans des aventures de Tintin et la mort annoncée de la Coccinelle, après 80 ans de service. La «voiture du peuple», Volkswagen en allemand, avait été décidée par Adolf Hitler et elle sera conçue par Ferdinand Porsche en 1938. Produite à plus de vingt millions d’exemplaires, de 1938, en Allemagne, à la «Ultima Edicion» de 2003 au Brésil (production arrêtée en 1975 pour l’Europe et 1980 aux États-Unis), la Coccinelle était déjà «championne du monde» en février 1972, quand, avec la 15.007.034 ème Coccinelle sortie des usines de Wolfsburg, elle battait le record de la Ford T. La couleur «stonewashed blue», couleur bleue métalisée claire, de ces modèles 1302 fut appliquée aux derniers exemplaires exposés à la Los Angeles Motorshow de novembre 2018, avec la griffe «Last Edition». Une silhouette reconnaissable entre toutes : ailes en demi-cercle, flancs échancrés, capot rebondi, deux gros phares imitant un regard humain. Les nostalgiques que nous sommes, se demanderont toujours «Était-ce mieux avant ?». Et pour être tombés tout petit sur la banquette arrière d’une Cox, nous serons nombreux à décréter que ce sera beaucoup moins bien désormais. Malgré la vague néo-rétro (d’ailleurs initiée par la «New Beetle» de 1998 à 2011), on assiste à la disparition systématique des voitures à forte personnalité au profit de modèles passe-partout, sans âme, interchangeables, au gré du mercato des designers d’une marque à l’autre. Évidemment, loin des soucis actuels de sécurité passive et active, les voitures de cette époque étaient peu soucieuses des gadgets d’aujourd’hui, aussi indispensables qu’électroniquement capricieux. En 80 ans (1938-2018) d’évolution progressive (tenue de route, freinage, motorisation, surface vitrée, feux et signalisation, accessoires embarqués), la Coccinelle incarne à elle seule toute une histoire automobile. La poignée de maintien, l’accoudoir et le repose-pied ne sont proposés au passager avant que sur le modèle 1960, suivi du pare-soleil passager en 1961. Les pictogramme apparaissent sur les boutons de commande en 1968. Et le miroir de courtoisie attendra 1970. «Quand on est une idole, on ne s’habille pas comme tout le monde» : les 45 ans de la «1303 Jeans» avaient été célébrés en septembre 2018. C’est donc la même époque que choisit Volkswagen pour annoncer la fin de la production de la Coccinelle. La Der des Der de la Coccinelle 3 sortira aux États-Unis en septembre 2019. C’est ce pays qui fera de la Coccinelle une star automobile grâce notamment aux affiches «Think Small» (1959) de l’agence DDB, couronnée comme la meilleure campagne publicitaire du XXè siècle. Ultima Edicion, Last Edition, Final Edition : comme le dit le président de Volkswagen États-Unis, autant «ne jamais dire jamais» pour une voiture dont le Cox Jubilée» avait déjà été marqué d’une plaque commémorative en 1971. De voiture, il n’est pas beaucoup question dans Tintin. Deux d’entre elles uniquement apparaissent sur le panorama des Unes des aventures de Tintin, affiché au dos de chacun des albums que nous allions acheter religieusement à «La Librairie de Madagascar» (38 avenue de l’Indépendance Analakely) : la Ford T (Tintin au Congo) et la Jeep (Wyllis MB sur «L’or Noir» et CJ sur «Objectif Lune»). Mais, la VW Coccinelle figure fugacement à deux reprises dans «L’Affaire Tournesol». Dans un autre album, inachevé, «Tintin et le Thérmozéro», Hergé avait commencé de crayonner une Coccinelle accidentée. Le «Journal de Tintin» (le journal hebdomadaire des 7 à 77 ans), édition belge, en son numéro 44 du 31 octobre 1956, annonçait un «Grand concours» doté de 2.000 prix avec 1/2 million de francs à partager. Tintin lui-même présente les deux VW Coccinelle en gros lots. À la Une de ce même journal, était annoncé un nouvel album de Tintin, «Coke en stock». En 2007, un collectif anglais, «La commission pour l’égalité des races», demanda aux libraires britanniques de retirer l’album «Tintin au Congo». La même année, devant la justice belge, un Congolais voulut faire interdire l’album «Tintin au Congo», publié pour la première fois en 1930. La même année 2012, en France, le CRAN (conseil représentatif des associations noires) avait voulu imposer aux éditions Casterman et à la société Moulinsart l’apposition d’un avertissement contre le «caractère raciste et colonialiste» de «Tintin au Congo». Deux ans plus tard, un «groupe d’intervention contre le racisme» a effectué une descente dans une librairie parisienne pour apposer un autocollant «Produit toxique, relents racistes, peut nuire à la santé mentale» sur les albums «Tintin au Congo» en vente. Seulement, ce 10 janvier 2019, pour les 90 ans de Tintin, l’album «Tintin au Congo» était remasterisé en version numérique. En décembre 2012, la Cour d’appel de Bruxelles a jugé que «Hergé s’est borné à réaliser une oeuvre de fiction dans le seul but de divertir ses lecteurs». Hergé (1907-1983), de son vrai nom Rémi Georges, avait tenté de plaider qu’il fallait «tenir compte du contexte historique». Gageons que cela ne suffira pas à ceux qui veulent juger l’histoire. Pour ma part, j’ai tout lu des aventures de Tintin et Milou, tandem que viendra enrichir tout un casting inoubliable : les détectives Dupont et Dupond, le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, la cantatrice Bianca Castafiore, et même son pire ennemi Rastapopoulos avec son nez de nasique, voire le «docteur Müller», le seul adversaire qui eût pu assassiner Tintin, si Hergé n’avait pas «censuré» certaines planches de «Au pays de l’Or noir» où il faisait mourir son héros. En 1939. Heureusement, parce que la seconde version d’après-guerre nous «ressuscite» donc Tintin pour la plus grande joie des 7 à 77 ans. Dans Tintin, et comme des millions d’autres lecteurs, j’aurai voyagé sans quitter ma chambre à une époque où la télévision était balbutiante ou confidentielle. Et surtout, j’y aurai appris un français châtié (malgré les jurons improbables de Haddock) comme on n’en fait plus.
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