Le pouvoir du bruit


Comme un petit coup de vent à l’apparence inoffensive, la rumeur peut réduire une carrière ou une réputation, bâties sans liant comme un château de cartes, en ruines. Ce mécanisme a la force destructrice et redoutée du petit battement d’ailes d’un papillon qui prélude à une tornade médiatique à l’allure incontrôlable dont l’exécution est dirigée par le buzz, ce chef d’orchestre qui ne connait pas les règles de l’harmonie et qui impose un enchaînement cacophonique et assourdissant comme forme de succession des événements, une cascade qui est ainsi enclenchée par l’ouverture de la vanne par une rumeur. Comme celle qui a frappé au cœur de l’organe émetteur du pouvoir exécutif. L’oreille est le raccourci pour atteindre le cœur et quand la rumeur y entre, son parcours dont, le but est l’accaparement des émotions, n’est pas aisé à entraver. Lors de son cheminement, elle traverse facilement les mailles des restes des filets laissés par les cadavres des filtres du discernement, anéantis par un autre mécanisme d’annihilation de l’esprit critique rendant notre être perméable à la rumeur qui parvient à envahir, sans rencontrer de résistance, les sièges de nos sentiments qui, ainsi influencés, se laissent aller à des réactions dans lesquelles le raisonnement est absent, écrasé par la lourde masse de la rumeur qui devient alors le principal moteur de nos agissements sur les réseaux sociaux et dans nos discussions. Et quand la rumeur bénéficie du pouvoir amplificateur d'une presse à scandale naissante dont la voix, répercutée par la puissance des réseaux sociaux, a la force d'un uppercut qui peut mettre K.O toute victime fragile, les écrits portants sur la vie privée des cibles, surtout nourris par les rumeurs, ont, pour une réputation, le côté sournois du plus sadique des poisons. C'est cette face destructrice qui a frappé la marquise de Merteuil, un des personnages emblématiques du roman Les Liaisons dangereuses (C. Choderlos de Laclos, 1782), après la publication de sa correspondance. C'est encore elle qui est à l'origine de la d'échéance de Katharina Blum dont la destruction par la presse est le sujet du roman L’honneur perdu de Katharina Blum (H. Böll, 1974). On a alors compris depuis que lancer une rumeur, fondée ou non, information ou Fake news, sur un adversaire est aussi efficace que lâcher une bombe sur un ennemi: rien de mieux aujourd'hui, pour anéantir et réduire au silence le plus prolixe des orateurs. Nous vivons, plus que jamais, dans un monde régi par une superpuissance invisible : le bruit.
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