Vive la morte


Il y a quelques heures, les bombes lacrymogènes sont tombées sur la foule. Les aspirants à la liberté d’expression se sont rassemblés au niveau d’Ankorondrano pour faire une marche pacifique vers Anala­kely. Mais les forces de l’ordre ont érigé des barrières humaines  pour barrer la bonne marche du mouvement. Les citoyens sont quand même venus jusqu’à Soarano pour tenir la promesse qu’ils se sont faite : enterrer la liberté qui a été sauvagement assassinée par les deux chambres du Parlement. Jusqu’au bout, le respect envers les forces de l’ordre a été tenu malgré les tensions et les déceptions. Entre les images que les participants se sont fait et la dure réalité, il y a en effet de quoi être désenchanté. Hier encore, les conversations téléphoniques avec les tenants du pouvoir militaire ont donné le feu vert pour cette marche fort symbolique. Mais ce matin, la réalité sur terrain était tout autre. Les forces de l’ordre étaient comme nous de la chair à canon. Plus que nous, elles étaient dans une situation très inconfortable face à ce cercueil et ces citoyens qui voulaient aller enterrer leur mort à Analakely. Très sûrement, la plupart d’entre eux ne savaient pas ce qui se passait ni la gravité du combat que nous menons. D’un geste humain, une militante a tendu un sachet de petits pains aux policiers qui étaient là, debout et en uniforme depuis le petit matin. Nous sommes tous malgaches, nous sommes tous assujettis à cette loi. Le policier fait son travail au même titre que les journalistes qui défendent leurs droits et celui du policier qui sont face à eux. Car nul n’est censé ignorer la loi, et nul ne peut y échapper sauf nos merveilleux dirigeants. La scène m’a rappelé la manifestation que le mouvement Wake-up Mada­gascar a menée pour dénoncer les délestages. À l’heure donnée, les manifestants se sont pris la main pour faire une chaîne humaine. Cette expression pacifique du ras-le-bol s’est tenue sous les yeux des forces de l’ordre. À la fin du mouvement, manifestants et policiers se sont serré la main avec une petite confidence encourageante venant de ces derniers. « Merci de vous battre pour nous. Chez nous également, le délestage fait rage. Nous on fait notre travail, mais cela ne veut nullement dire que nous ne souffrons pas autant que vous ». Que dire de plus. Nous mourrons des mêmes maux, des mêmes décisions qui nous appauvrissent, des mêmes dictateurs et de leur décision de nous museler. Le fait est que, ils nous mettent face à face pour que nous nous sentions ennemis et que nous nous affrontions. Si nous tombons, une fois de plus dans ce piège, l’usage des armes sera indéniable et nous mènera inévitablement à des confrontations, du sang, des morts, des martyrs qu’on oubliera vite. Vive la morte ! Celle qu’on n’a pas pu enterrer hier et qu’on verra pourtant renaitre plus tôt qu’ils ne croient.
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