Chasseur de plume


Toute une garnison a été mobilisée hier à Ankorondrano pour empêcher les journalistes de procéder à l'enterrement de la liberté de la presse et de l'expression tuée avec un sang froid inouï la semaine passée par les députés. Un déploiement de force démesurée et disproportionnée par rapport aux «ennemis» en face, armés de verbe et de plumes qui n'ont jamais tué personne. L'état a plus que jamais montré qu'il ne fera pas machine arrière quelle que soit l'intensité des pressions nationales et internationales. Pire, il a donné un aperçu de ce que sera l'application du nouveau code de la communication. Un usage de la force sans concession et systématique pour toute manifestation de rue. Rajaonarimampianina peut compter sur des forces de l'ordre, le corps le mieux traité en matière d'émolument et de promotion (une centaine de généraux par an dont une vingtaine de corps d'armée, plus d'une cinquantaine de division), qui lui obéit au doigt et à l’œil. Il n'a fait que suivre la voie royale tracée par Ratsiraka dont les gouvernements successifs étaient une véritable junte militaire. Ravalomanana et Rajoelina se sont également appuyés sur les forces de l'ordre pour s'assurer une stabilité. Le premier a été trahi par son outrecuidance et Rajoelina a monté les sous-officiers et les officiers frustrés pour le détrôner. Il y a fort longtemps que la devise des forces armées «Pour la patrie» s'est métamorphosée en «Pour le patron». Un soutien inconditionnel sous couvert de la légalité du pouvoir. La fameuse baïonnette intelligente n'a été que rarement observée. Le colonel Ratsimandrava avait refusé de donner l'ordre à ses hommes de tirer sur les manifestants du 13 mai en 1972. En 2002, une partie de l'armée s'est ralliée à la cause de Ravalomanana provoquant la fuite en exil de Ratsiraka. On se retrouve presque dans la même situation avec le pouvoir le plus impopulaire depuis l'indépendance, le plus corrompu, le plus laxiste, le moins démocratique avec des élections arrangées et ce code de communication qui n'a d'égale qu'en Corée du Nord ou en Éthiopie. La chasse aux plumes est ouverte avec l'adoption de ce code  et les forces de l'ordre s'y adonnent à cœur joie. Depuis hier, l'accès  à l'Assemblée nationale est fermée aux  journalistes quel qu’en soit le motif. Tout se traitera à huis-clos dans une institution où beaucoup de députés sont des délinquants fiscaux obligés de retourner leur veste sous la menace de lourds redressements fiscaux. Certains avaient fait l'objet de descente de la brigade fiscale et avaient mobilisé les journalistes pour dénoncer la pratique de l'administration Rajaonarimampianina. Ce sont aujourd'hui les plus farouches ennemis de la presse. Beau retour d'ascenseur. On se demande si ce code sera générateur de développement, s'il pourra améliorer le quotidien de la population, s'il sera la panacée à toutes les maladies élémentaires, s'il servira à créer des emplois, s'il va permettre d'améliorer les recettes fiscales et les recettes douanières, s'il sera la solution attendue pour juguler la corruption, s'il supprimera les délestages, s'il pourra stopper net les braquages et les attaques armées, s'il annihilera les viols de mineurs. Il y a d'autres priorités qui ne préoccupent guère l'État. À preuve, alors qu'on fanfaronne que les forces de l'ordre veillent au grain partout dans la ville, les panneaux solaires de la RN1 se sont fait arracher par les vandales. Ce n'est pas l'œuvre des journalistes. Au-delà du projet avorté des journalistes, hier, la foule nombreuse, aussi bien à Ankorondrano qu'à Analakely, devrait être le tocsin qui appelle à des comportements sensés et moins radicaux de la part des dirigeants avant qu'il ne soit trop tard. Il n'y a pas de doute, il y a un volcan qui gronde en silence. Les larves d'une explosion sociale sont bel et bien là. L'enterrement risque cette fois de dépasser la fiction du scenario d'hier avec un vrai corps dans le cercueil. Par Sylvain Ranjalahy
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