Christian RASOAMANANA - Un plan Marshall pour les infrastructures


Christian Rasoamanana est un spécialiste international des infrastructures. Il est le président du cabinet de conseil FIRST ENGINE ADVISORY spécialisé dans les infrastructures et président de la fondation INFRARESOURCES et a été jusqu’à fin 2018 associé de PwC France responsable du département financements de projet, infrastructure et PPP. Nous avons souhaité recueillir ses solutions face à la crise du COVID-19. Monsieur RASOAMANANA Christian quel est votre état d’esprit sur cette pandémie ? C’est une triple crise : sanitaire, économique et social et elle est mondiale. Elle nous challenge sur 2 points : notre résilience qui ne se mesure pas à notre capacité de résistance mais à sortir meilleur de cette crise et notre capacité à réduire les inégalités car la COVID-19 a beau frappé sans distinction, elle affecte plus les pauvres que les riches. Ce constat est valable à la fois pour les ménages et les entreprises. Comment être plus fort demain alors ? Nos entreprises sont en grande difficulté et réclament à juste titre un plan d’urgence multi-sectoriel. Mais l’urgence du court terme ne doit pas occulter l’impératif de bâtir une économie plus résiliente sur le long terme. Pour être plus fort demain, le plan de relance doit intégrer un plan ambitieux et volontariste de développement des INFRASTRUCTURES, dit autrement un plan MARSHALL pour son côté investissement massif créateur d’activités et d’emplois. En quoi est-ce important d’investir dans les infrastructures ? Parce qu’au-delà de créer des activités et de l’emploi, c’est la clé du bon fonctionnement de notre économie et de notre vie quotidienne à même de réduire les inégalités et de renforcer notre résilience face aux crises. Pour les ménages, le manque d’infrastructures est un frein à la vie de tous les jours pour se déplacer, éduquer les enfants, accéder à l’eau potable, à l’énergie, se soigner, s’informer, etc. Pour les entreprises, c’est 40% de productivité en moins, donc moins de compétitivité, moindre capacité à tirer profit des opportunités et au final moins d’emplois. On estime que le déficit d’infrastructures coûte au moins 2 points de croissance par an. D’après vous où faut-il investir alors ? Par quoi commencer ? Nos besoins annuels d’investissement en infrastructures sont estimés entre 0,8 et 1 milliard de dollars. Ils touchent tous les domaines : santé, énergie, transport, assainissement, développement urbain, modernisation des services publics via la digitalisation et la rénovation de nos bâtiments publics. Je laisse à l’Etat la responsabilité de fixer les priorités mais l’étendue des besoins m’emmène à plaider pour un plan d’investissement de 10 milliards de dollars sur 10 ans, soit 1 milliards de dollars par an. C’est un chiffre qui peut paraître élevé mais rien que les 2 projets hydroélectriques annoncés de Sahofika et de Volobe dépassent largement le milliard. Le fait que ce plan s’inscrive sur la durée permettra à nos entreprises d’avoir également de la visibilité indispensable à la préparation et à la projection. 10 milliards de dollars, c’est considérable. Comment le financer ? Par le recours aux PPP. Lorsque l’argent public est rare, il faut savoir utiliser l’argent privé. A l’aube du 60e anniversaire on parle de souveraineté, de véritable indépendance, le PPP ne ferait pas de nous un pays dépendant des financements étrangers ? C’est une excellente question. Avant d’y répondre, rappelons ce qu’est un PPP. Il s’agit pour l’Etat de faire appel au privé pour financer et réaliser une infrastructure publique. Contrairement à ce que certains peuvent penser, ce n’est pas un don du privé. Au final il nous faudra rembourser soit par une facturation directe du service aux usagers soit par de futures recettes fiscales. Comme nous devons rembourser, il est donc primordial que nous malgaches gardions la maîtrise du projet et du processus et que tout soit fait pour que le projet se fasse au meilleur rapport qualité-prix. La clé du succès passe par la qualité de la préparation avant de mettre sur le marché les projets. La souveraineté, c’est garder la responsabilité de cette phase amont pour l’intérêt général et donc garder la main pour ne pas subir. Y a-t-il un bon PPP et un mauvais PPP ? Un bon PPP est gagnant-gagnant. Du point de vue de l’Etat, c’est un PPP qui maximise le bien public, en l’occurrence la réalisation du projet dans les meilleures conditions de prix, de délais, de contenu en emplois, de transfert de technologie, d’impact environnemental. Un mauvais PPP est celui qui ne poursuit pas l’intérêt général, donc déséquilibré. Concrètement comment on fait ? C’est un des enseignements de la COVID-19 : nous devons trouver des solutions par nous-même. J’en propose trois : 1) la mise en place d’un fonds d’amorçage pour le financement de la phase de préparation et de développement. J’emprunte volontairement le terme au monde des start-up. On estime les frais de développement d’un projet d’infrastructure à environ 3% du coût d’investissement. Imaginez l’effet de levier : en mettant 3 millions, nous pourrons lever 100 millions. Ce fonds peut être privé mais il devra être 100% malgache et poursuivre l’intérêt général, ce qui n’est pas incompatible avec une logique de profit. 2) le fléchage des ressources de l’Etat vers un mécanisme de garantie de certains risques qui ne peuvent pas être portés par le privé ou dont le transfert aurait un coût trop élevé. On contribuera ainsi à améliorer la bancabilité de certains projets et faciliter le recours aux PPP. Cette garantie sera payante. 3) la mobilisation des assureurs et des établissements de fonds de pension retraite nationaux pour le financement des infrastructures. Nous ne pouvons dépendre uniquement des bailleurs de fonds internationaux. Pour cela, il faut adapter la réglementation et lever les restrictions entourant l’utilisation des fonds de ces établissements souvent orientés vers des dépôts à terme, l’immobilier ou des titres d’Etat. Les ressources locales permettront d’éviter les surcoûts facturés par les investisseurs étrangers liés notamment au risque politique ou au risque de change. Est-ce que ce sont des solutions que vous avez imaginées pour Madagascar uniquement, ou les avez-vous puisées de vos expériences à l’international ? Ce sont des solutions adaptées à la situation de notre pays mais tirées de mon expérience internationale. Lors de la crise financière de 2009, j’ai conseillé l’Etat français dans le cadre du mécanisme de garantie pour sécuriser les financements de projet. Il est intéressant de noter qu’au final, l’Etat français a gagné de l’argent (même si ce n’était pas l’objectif initial) puisque la garantie n’a pas eu à être levée et que tout a été fait en amont pour minimiser le risque de tirage de la garantie. Vous avez dit que le PPP n’est pas un don et qu’il faut rembourser. Comment rembourse-t-on ? Un seul chiffre à garder en tête et qui a été donné par la Banque Mondiale : le rendement des investissements dans les infrastructures est de quatre dollars par dollar investi sur la durée de vie des infrastructures. On aura de quoi largement rembourser. Le mot de la fin. Il ne sera pas possible de tout faire mais nous devons tout faire pour que les malgaches aient accès aux services essentiels.
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