Le mai 72 malgache


Mai 72 a fait date dans l’histoire de l’indépendance de Madagascar à travers le processus de changement qu’il a déclenché: dénonciation de l’hégé­monie française, chute de l’État PSD, émergence d’une nouvelle génération d’hommes politiques, premières expériences de l’armée au pouvoir, mise en place d’un nouveau système culturel. En créant un nouveau paysage politique, il a provoqué, comme tout mouvement de transformation sociale, un désarroi et un élan d’espérance. Un mouvement urbain Parti de la capitale, le mouvement de mai 72 s’est durci là où le pouvoir centralisé se conçoit. Il a par la suite gagné toutes les villes des provinces et pris ainsi une dimension nationale. C’est un premier aspect du mouvement de mai malgache. Il faut cependant souligner son caractère urbain. La campagne, la brousse, sans être mises à l’écart seront considérées plus tard comme une ouverture indispensable. Seuls, les instituteurs, les gros propriétaires terriens, les possesseurs des taxis brousse, les commerçants suivaient avec intérêt le mouvement. Cette situation justifiait l’envoi des « commandos » de la capitale vers les villes des provinces, et des villes vers la campagne. Ces commandos composés des jeunes scolaires et des instituteurs avaient comme mission d’entraîner la masse vers un vaste courant de contestation. Éveillés, les paysans admiraient la sagesse et le bon sens de ces jeunes, emportés par la flamme d’un patriotisme raisonnable. Les jeunes chômeurs en ville appelés ZOAM arrivaient à créer un courant dépassant le nationalisme. Ils voulaient bouleverser, la structure profonde de la société, tandis que les paysans vivant au rythme de la nature, voulaient vivre et vivre mieux. À l’époque, l’information ne pouvait se faire que par des contacts directs. La radio privée ne verra le jour que vingt ans plus tard. La présence de ces « commandos » était donc nécessaire pour l’expansion du mouvement. Un mouvement violent Le deuxième aspect de mai 72 fut son caractère très violent. L’hôtel de ville de la Capitale était réduit en cendres. À Ambalavao, le 8 mai. Modeste Randrianarisoa, 17 ans, leader du mouvement scolaire, trouve la mort, première victime de la répression. Selon la version officielle, à Antananarivo le 13 mai, il y eut 26 morts dont 19 manifestants et 7 FRS (Forces Républicaines de Sécurité); et le 15 mai: 8 morts dont 5 manifestants et 3 FRS. Le mouvement est devenu violent parce qu’il répondait à une attaque violente. L’extension du mouvement a provoqué une réaction de défense. La spontanéité a mis les travailleurs, les jeunes scolaires, les étudiants, les chômeurs, et même des étrangers dans l’expression active d’indignation et dans une poussée irrésistible vers une transformation sociale. La violence a été le moyen d’introduire des problèmes nouveaux et de liquider les anciens. Il ne s’agit plus de formation des étudiants à l’école de médecine de Befelatanana, ni des concours d’entrée en sixième et seconde. Les nouveaux problèmes posés sont l’arbitraire du pouvoir et la démission des dirigeants politiques à la tête de l’État. Recours à l’armée Le 18 mai 1972, le Président de la République Philibert Tsiranana a annoncé à la radio: « Devant les difficultés actuelles, et afin de préserver l’unité nationale, j’ai décidé de dissoudre le gouvernement. Je donne pleins pouvoirs au Général Ramanantsoa pour diriger le pays et je le charge de former le nouveau gouverne­- ment ». À aucun moment de la lutte l’armée et la gendarmerie ne se sont engagées. Elles restaient dans l’expectative. Elles attendaient quoi, qui ? Elles attendaient sans doute qu’affaibli par leur affrontement, l’un et l’autre camp s’appuie sur elles. Le Président trouve en elle une sortie de crise, et le mai malgache une grande espérance. « Une nouvelle ère » commentent les observateurs. Un vent de libération souffle dans toute l’Ile. La parole fuse de partout. De la peur contenue d’hier, jaillit un défoulement verbal salué comme la victoire de la révolution. C’est le rêve du grand soir, la fête de la parole retrouvée. Les changements: c’est l’entrée en scène politique de l’armée avec un gouvernement composé de 11 personnes dont 5 militaires et 6 civils , un anti parlementarisme traduit par la dissolution des deux chambres; la restructuration de la vie publique autour du fokonolona, la volonté d’appliquer la malgachisation et de sauvegarder la souveraineté nationale. Hommes de commandement dans les casernes, les officiers supérieurs, sans expérience politique mais avec conviction, prennent désormais en main le destin national. Extrait du livre « Regards sur la vie politique de Madagascar de 1960 à 2020 » de André Rasolo.
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