Escapade en pays bara


Dans les années 1950, A.-P. Marion, accompagné de deux jeunes Malgaches, entreprend un voyage de quarante jours et de plus de 4 000 kilomètres dans le Sud. Il en réalise une sorte de carnet de voyages sur les pays mahafaly, antandroy, antanosy, bara… À propos justement du pays bara, après avoir traversé une partie du désert de l’Isalo, le voyageur aboutit à Ranohira. « À cette heure de la matinée, il y a un aperçu de toute beauté dans son austère simplicité », écrit-il. Il déclare aussi que ce nom « Ranohira », « l’eau qui chante, l’eau qui rit », lui rappelle un chant de Peaux-Rouges entendu autrefois en Amérique, « Minnehaha », qui veut dire la même chose. Pourtant, en fait d’eau, même silencieuse, « à Ranohira c’est plutôt décevant ». Il explique : « À notre arrivée, on puisait encore à deux puits, dans un fond de vallon, à un kilomètre de là. Puis cela se tarit. Force fut de recourir au service d’eau ». Et de décrire : « Un brave vieux vient apporter à domicile de l’eau prise à 9km. Il faut voir ce service. Deux ânes, l’un plus grand que l’autre, tirent cahin-caha ce qu’on peut, à la rigueur, qualifier de charrette, chargée surchargée plutôt, de fûts, de bidons, de calebasses. » Le véhicule, ajoute-t-il, est monté sur pneus. De vieux pneus d’automobile qui sont recoupés et dont les deux bouts sont reliés avec du fil de fer. « Tout l’ensemble, du reste, est une merveille d’assemblage avec ficelles, fils de fer, bouts de bois. » Le voyageur indique aussi qu’il existe deux Ranohira, le vieux du nom se situant à une dizaine de kilomètres au nord, et c’est là que réside alors le roi bara Tsimangataka. A.-P. Marion s’abstient de le déranger, d’autant que « ces rois se demandent toujours ce que ces visiteurs étrangers peuvent bien leur vouloir ». Il se souvient d’ailleurs qu’il est en pays bara et que les Bara sont réputés d’être de grands guerriers et « ils doivent bien s’ennuyer de vivre en paix ». Plus à l’Est cependant, se trouve la région où les Bara sont danseurs et lutteurs, fiers de s’exhiber dans leur tenue d’apparat. À Ranohira, les gens sont vêtus comme sur les Hauts-plateaux, au moins en cette saison dite froide. Pourtant, « à part une ou deux nuits vraiment froides, une journée torride, une averse nocturne bien imprévue, nous jouissons à Ranohira d’un temps magnifique ». Dans cette localité, le climat est fort sain et très sec. Les Bara sont polygames, c’est-à-dire qu’ils sont très catégoriques que d’autres groupes ethniques sur ce point et que « le fait est patent, reconnu, conforme à la coutume ». Comme le bœuf est la « monnaie courante », les femmes qui sont prises après la première épouse, doivent présenter à celle-ci un nombre de zébus à déterminer selon la valeur physique, le « standing » du maitre. Les missionnaires ne parviennent qu’à rendre « au mieux » la polygamie car, à leurs remarques sur cette coutume, ils s’entendent répondre, avec « la brutale franchise» qui sont propres aux Bara : « Ce n’est pas de notre faute si vous autres n’avez qu’une femme et pas de bœufs ! » À la fin de la journée, avec le coucher du soleil pourpre, les monts de l’Isalo se profilent sombres et allongent, sur les vallonnements en contrebas, leurs silhouettes torturées. À l’époque, l’œuvre de l’érosion est déjà considérable, expliquant ces rochers, ces monts aux formes des plus surprenantes. Le voyageur se trouve dans « un immense cirque entouré de falaises à pans coupés, à redents ». Les parois, les creux sont littéralement tapissés de « plantes grasses ». Et de conclure cette excursion dans le massif central de l’Isalo : « Nous sommes là, dans un véritable jardin botanique d’un genre tout spécial : une plante aux minces et longues feuilles lamelliformes dressées comme une algue ; une autre, plus filiforme, dont la fleur est une petite étoile verte ; de petits aloès nains gris rosé, le Kallanchoe Synsepala à stolons, qui portent encore des bouquets de petites fleurs sèches, la plante mère étant entourée de ses enfants, autant de petits choux rosâtres aux feuilles maniérées ; ces petits bouquets d’Helychrysum couverts de minuscules touffes fleuries d’un jaune rosâtre qui n’ont rien d’un végétal terrestre…»
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