Monde - Deux femmes, un même avenir présidentiel


A priori, absolument tout les sépare. L’une, Kamala Harris, est un pur produit de la démocratie américaine. L’autre, Asma El-Assad, a toujours vécu dans le sillage de l’un des plus durs parmi les durs dans la liste des despotes du monde arabe, le Syrien Bachar El-Assad. Et pourtant leurs itinéraires, aussi différents qu’ils puissent être, peuvent converger vers une même destinée : celle de présidente de leur pays respectif. C’est ainsi que Tom Andriamanoro ouvre aujourd’hui sa rubrique. WASHINGTON. Qu’on ne s’y méprenne pas, Joe Biden est le 46e président des États-Unis, mais en votant, ses partisans pensaient déjà au, ou plutôt, à la 47e. Vu son âge, Biden ne pouvait pas s’inscrire dans la durée. Sa mission immédiate est d’effacer les séquelles du trumpisme, et de gérer au mieux possible ce qui, pour être réaliste, risque de n’être qu’une transition. Pendant la dernière campagne, le Guardian brossait de sa colistière ce portrait : « Kamala Harris est une pionnière qui n’a jamais renoncé. Procureur général de Californie, sénatrice, et future vice-présidente, elle a tout au long de sa carrière su briser les barrières malgré les attaques racistes et sexistes de ses adversaires. » Quelles meilleures armes pour ambitionner d’occuper un jour le bureau ovale ? Et le journal de dresser, intentionnellement ou pas, un parallèle avec Obama : « Kamala Harris et Barack Obama : même héritage, même combat. » Ils partagent effectivement de nombreux points communs, mais ont aussi leurs différences. Obama, par exemple, plaidait la justice raciale tout en évitant de s’aliéner les Blancs. Kamala Harris est plus directe, n’hésitant pas, lors d’un meeting, à égrener le nom des hommes et des femmes noirs tués par la police, et ne voilant pas ses affinités avec le « black lives matter». Le Los Angeles Times en arrive à cette évidence :  « Si Harris ne parlait pas aussi ouvertement des effets de la suprématie blanche et du racisme, elle n’apparaîtrait pas comme présidentiable. » Avocate de formation, elle appartient à la classe moyenne qui est aussi celle d’importants leaders noirs qui ont fait sauter le carcan du racisme et de la ségrégation. Au fil du temps, le carriérisme noir a supplanté le militantisme en tant que moyen d’imposer la justice raciale. Les succès obtenus par les universitaires, les médecins, les avocats, les cadres supérieurs sont la preuve qu’ils n’ont pas oublié leurs idéaux, et que la lutte porte ses fruits. En plus de son «success story» professionnel qui cadre bien avec le rêve américain, Kamala Harris possède des atouts qui comptent pour un candidat à la présidence : un physique télégénique, un sang-froid à toute épreuve, un art oratoire doublé d’un charisme conquérant. À une journaliste lui demandant si elle a subi un « profilage racial  » (sic), elle répondit en essayant de maîtriser son énervement : « J’en ai assez de devoir raconter aux gens mes expériences du racisme pour leur faire comprendre qu’il existe.» Le mot de la fin revient au Los Angeles Times : « Kamala Harris, notre deuxième chance d’avoir une personnalité noire à la présidence des États-Unis, est plus que qualifiée pour nous y mener. » Damas, à des années-lumière de Washington. Alors que Bachar El-Assad a toujours concentré tous les pouvoirs entre ses mains depuis la disparition de son père Hafez, voilà qu’un fait insolite vient bouleverser l’immuabilité du paysage politique syrien : la prolifération d’affiches géantes de sa femme sur tous les panneaux de toutes les grandes villes du pays. Et pourtant Asma, c’est son prénom, a toujours été l’exemple même de la soumission aveugle à son Président de mari. L’intention est claire, à défaut d’en livrer ouvertement le pourquoi : ancrer désormais dans les esprits l’image et la personnalité de la Première Dame. À quoi joue donc le Président ? Bachar en est conscient : la Syrie est dans l’impasse sur l’échiquier de la géopolitique mondiale, à cause de la très mauvaise image de son président, notamment en matière de violation des Droits de l’Homme. Tant qu’il sera au pouvoir, personne n’investira ni un dollar ni un euro dans la reconstruction, et la Syrie restera sous le coup des sanctions. L’équation est donc toute simple  : comment garder toutes les cartes bien en main, tout en quittant les feux de l’avant-scène ? Réponse: en cédant la place à une personne très proche, dévouée, non susceptible de changer un jour de cap. Le schéma avait déjà été envisagé dans le passé avec le vice-président Farouk El-Chareh, et abandonné. Pas suffisamment sûr. On ne sait même plus aujourd’hui ce qu’il est advenu de ce vice-président, mais il est permis de le deviner. L’oiseau rare n’existe donc qu’en un seul exemplaire : Asma El Assad l’épouse, et personne d’autre. Sa promotion permettrait à Bachar de partir sans vraiment partir, en occupant tacitement la place d’un tout puissant conseiller spécial, vrai détenteur du pouvoir. Elle donnerait aussi à la congrégation sunnite à laquelle Asma appartient, alors que son mari est alaouite, l’illusion de figurer au sommet de l’État. Son accession plus que probable à la présidence aura pour Asma El-Assad un parfum de revanche : d’une part, sur le clan de sa belle-mère qui avait gardé pour elle seule le titre de « Première Dame » jusqu’à sa mort en 2016 ; et d’autre part, sur sa propre destinée déjà marquée par un cancer qu’elle a vaincu. Asma El-Assad enfin a su profiter de son rang pour devenir une influente femme d’affaires à la tête de plusieurs sociétés dont Emmatel, ainsi nommée à partir du prénom « Emma » figurant sur son passeport britannique. No comment.
Plus récente Plus ancienne