Élisabeth II, le softpower en personne


Élisabeth II, 1926-2022. Et tout est dit. Elle aura connu les plus grands personnages de son temps, qui fut toute une époque : Churchill, Tito, de Gaulle, Nehru, Mandela. La Reine demeure, les Premiers Ministres passent : quatorze avant la quinzième qu’elle aura eu le temps de saluer pour la photo ultime. Le simple film de sa vie, c’est déjà un documentaire d’histoire. «Never complain, never explain» : Ce 11 décembre 1997, la Reine versa pourtant une larme durant le désarmement du yacht royal Britannia, qu’elle avait elle-même baptisé en mars 1953, trois mois avant son couronnement. À son bord, Élisabeth II et les membres de la famille royale auront sillonné toutes ces mers que contrôlait jadis la Royal Navy, assurant pour plusieurs siècles la suprématie britannique et bâtissant «un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais» : il faisait jour à Hongkong quand la nuit tombait aux dominions du Canada. Une grandeur ancienne sans la flétrissure d’une moderne repentance. Élisabeth II, malgré les accommodements qu’elle a dû prendre avec les considérations contemporaines, était une femme d’une époque qu’on dit aujourd’hui révolue. Des femmes ont été ordonnées prêtres dans l’église anglicane. Un mariage interracial est survenu au coeur même de la famille royale. Quant à la foi, importe-t-elle dans l’Angleterre moderne ? Un Hindou, Rishi Sunak, fut à deux doigts de devenir Premier Ministre en ce mois de septembre 2022. Et le nouveau roi Charles III, malgré son souhait ancien de devenir le «Défenseur des Croyances», a prêté le serment d’être le «Défenseur de la Foi», titre conféré depuis 1521 au monarque anglais. À ce titre, la proclamation du Gouverneur général de l’Église d’Angleterre a été faite en présence de l’archevêque de Canterbury, primat de l’Église d’Angleterre, et de l’archevêque d’York, troisième personnage de cette même Église, et tous deux figurent également parmi les signataires de la proclamation de l’Ascension. Madagascar ne fait pas partie des 110 pays que la Reine aura visités. Elle sera morte la veille du 205 ème anniversaire du traité du 23 octobre 1817, entre Robert Farquhar et Radama 1er. Pour le bicentenaire, elle avait dépêché sa fille, le princesse royale Anne, qui assista à une messe à la cathédrale anglicane d’Ambohimanoro. Les républicains n’auront jamais été autant monarchistes. C’est rappeler qu’ici, nous n’avons pas tué nos souverains : ce sont les Français qui ont décapité le roi Toera avant de chercher à instrumentaliser les rivalités familiales des Sakalava du Menabe. Auparavant, c’était pour faire de la République la nouvelle souveraine que Gallieni a aboli la monarchie merina et fit exiler Ranavalona III. Une souveraine comme Élisabeth II était la meilleure ambassadrice de l’actualité de la vieille idée monarchique. Le vrai softpower, ce fut celui de cette femme. Sans pouvoir constitutionnel, mais dépositaire d’un magistère moral qu’elle mit au service du Royaume-Uni. Sans qu’on sache rien d’elle, tout le monde avait l’impression de la connaître. Les images que l’on gardera d’elle associeront sobriété et dignité, dans toutes les responsabilités qui lui incombèrent. Soixante-dix ans d’un sans faute qu’envient tous les présidents, plus ou moins élus pour une parenthèse.
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