La méthode musclée de l’armée française


L’armée royale malgache montre en 1895 une « déplorable combati­vité » en ne tuant que seize hommes aux Français, les Menalamba sont prompts à fuir et surtout, la garnison merina d’Ankazobe refuse de combattre et se rallie à la rébellion après le massacre des officiers de la reine. Ce sont les principaux faits en 1896, du moins ceux signalés par le résident général Hippolyte Laroche. La troupe française- six cents hommes- sous les ordres du colonel Combes est lancée contre les insurgés de la région d’Ambaton­drazaka. Elle avance pour chercher l’ennemi qui s’est retiré, brûle les villages que, pris de peur, les habitants abandonnent, « et avec beaucoup d’efficacité, on multiplie de la sorte le nombre de rebelles tout en réduisant les populations à la haine et au désespoir » (Roger Pascal, Bulletin de Madagascar, octobre 1966). Les militaires croient la population hostile alors qu’elle est apeurée. Le général Voyron le reconnait : « L’insuccès de cette colonne vient surtout de ce que les insurgés ont pour mot d’ordre de fuir toujours devant nos troupes, après une résistance insignifiante, en sorte que le passage d’une colonne française n’a d’action que dans les villages même qu’elle traverse et dans leurs environs immédiats. » Le résident général réprouve cette tactique et préfère l’utilisation de milices et- de petits postes. Car il s’avère alors « que cinquante hommes armés étant respectés des rebelles, des petits postes pouvaient pacifier une région et y amener le calme ». D’ailleurs, à Antsirabe, les milices prouvent leur combativité. Plus sobres, plus rapides que les troupes algériennes ou françaises, on peut attendre beaucoup d’elles. Et c’est une idée approuvée par le colonel Combes et appliquée plus tard par Gallieni. Mais à l’époque de Laroche, la rivalité entre le militaire et le civil apparait. En outre, il y a le poids des préjugés. « On croyait à cette époque qu’il y a des races guerrières et d’autres qui ne l’étaient point. » Ainsi, « plutôt que de créer des milices c’est-à-dire des corps neufs, sans tradition, Voyron préférait les effectifs malgaches de son armée et le ministre de la Guerre à Paris excluait tout simplement les milices de sa compétence ». Le général Voyron sait cependant que l’œuvre politique doit suivre la pénétration armée. Mais ses officiers, lâchés dans la brousse, considèrent tous les gouverneurs royaux comme des « traitres possibles à l’exemple de Rabezavana et de Rabozaka ». Ils les accablent de prestations sous peine de voir leurs cases brûlées, les molestent… Leurs sentiments à l’égard des résidents français ne sont pas meilleurs. Ils ne veulent pas les avoir auprès d’eux ou bien s’ingénient à les exténuer par des marches inutiles. « Afin d’être définitivement débarrassé d’eux, Voyron, usé, susceptible et prisonnier de son entourage, demanda et obtint que l’État de siège soit déclaré dans toute la zone d’insécurité. » Les militaires voulaient être seuls au monde et comme ils ne pouvaient saisir un ennemi trop fuyant, trop rapide, ils préféraient plutôt que d’avouer l’inefficacité de leur méthode, donner crédit à quelque grande conspiration, dirigée de Tananarive par de puissants membres du gouvernement, sinon par la reine elle-même et ses familiers, toutes personnes considérables caressées par « Hippolyte ». Selon Roger Pascal, le lieutenant chargé des renseignements doit, à ce propos, s’illustrer. « Il arrêtait des Malgaches du commun et leur promettait la vie sauve s’ils avouaient ce qu’ils savaient. Les malheureux, pour se libérer, disaient tout ce qu’on leur suggérait, tout ce qu’à leur avis on attendait d’eux. Ils dénonçaient tous les Grands du Royaume, espérant qu’à côté de ces illustres personnages, ils seraient vite oubliés. » Et comme le jeune lieutenant se vante partout des résultats de ses « sensationnelles enquêtes », cela ne peut que perturber une foule exaspérée, « saisie d’espionite », qui peuple la capitale. Surtout les colons, pour la plupart créoles des Mascareignes qui, voyant fondre leurs économies, « plutôt que d’accuser leur malchance, préféraient exercer leur hargne contre la reine ». À preuve, « la reine passe en filanjana devant l’Hôtel de France et les Européens attendent avec hostilité son salut » ! Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles 
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