Bemiray - Au pays des hommes sans eau


« Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière » La chronique hebdomadaire de Tom Andriamanoro accorde une large place au peuple Mikea, les hommes sans eau, habitant d’une forêt qui porte son nom, mais qui se dégrade de plus en plus à cause de ses voisins. Et qui donne aussi son nom à un album de Jean-Claude Vinson, « Mikea forest blues ». Il aborde par ailleurs l’esclavage, aussi bien sous sa forme de traite que dans sa forme moderne.D’une étude de Louis Molet Ancien enseignant à l’Université de Montréal [caption id="attachment_62500" align="alignright" width="334"] La forêt des Mikea se dénude de plus en plus et le peuple nomade doit parcourir de longs kilomètres tous les jours pour trouver à manger et à boire.[/caption] Il peut paraître invraisemblable que de nos jours, des hommes et des femmes vivent des semaines, des mois, voire des années sans boire. Et pourtant, c’est le lot d’un petit groupe malgache dans une région du Nord de Toliara connue sous le nom de Forêt des Mikea. Limitée à l’occident par les dunes ou les calcaires littoraux de la côte, cette forêt est parcourue d’Est en Ouest par des pistes qui débouchent sur des villages de pêcheurs vezo aux noms sonores : Tsiandamba, Salary, Ambatomilo, Vatoabo, Ankindrano, Befandrefa. À l’Est, la forêt voit sa lisière entamée profondément, échancrée du Nord au Sud par les villages situés le long de l’axe routier Manombo-Befandriana du Sud et par ceux où les bretelles carrossables sont venues aboutir. Certains atteignent le lac Ihotry, peuplé de milliers de flamants roses que les braconniers, chaque soir, font s’éloigner en vastes vols colorés qui sont un ravissement pour les yeux. Dans cette vaste zone ainsi délimitée, pousse une forêt épaisse, dense, mais presque sans ombre, car les plantes n’ont que des feuilles minuscules et ont surtout des épines. Ce sont les peuplements de candélabres épineux, de buissons de ronces, de baobabs immenses, ou de lianes qui se réfugient dans le sol et ne lancent de tiges que juste assez pour disséminer leurs graines. Au lever du jour, des troupes de trois ou quatre douzaines de pintades sauvages, des compagnies nombreuses de perdrix jaunes viennent picorer dans les clairières. On voit ou on entend les perroquets gris ou les trop peu méfiants « tsiloko » aux jolies plumes bleues, les tourterelles, les pigeons verts, les perruches et, un peu partout, le corbeau à plastron blanc. Dans cette forêt, il n’y a pas que les oiseaux, mais les animaux se cachent : bœufs sauvages quasi-inaccessibles, fosa, chats sauvages dont on voit les traces nombreuses, lémuriens, abeilles sauvages qui distillent un miel foncé délicieux. [caption id="attachment_62501" align="alignleft" width="296"] Le lac Ihotry est réputé pour les flamants roses qui le peuplent.[/caption] Il n’y a ni source, ni mare, ni puits dans cette étendue de plus de 2 000 kilomètres carrés. À peine si, en saison des pluies, on trouve dans le creux de certains arbres, dont les hazomanitse, de l’eau croupie où pourrissent des feuilles mortes et des chenilles venues s’y noyer. Mais Zanahary, le dieu qui fait vivre et qui fait mourir, y a fait pousser une liane véritable, gage de la soif étanchée. Il s’agit d’une igname succulente dont les tubercules, gros comme la cuisse, poussent dans le sable à la profondeur d’un bras d’homme. Ces baboho à la chair tendre et fragile, d’une teinte translucide légèrement laiteuse, sont littéralement gorgées d’eau comme l’est la pulpe d’une pastèque. En consommant des morceaux de baboho, on mange autant qu’on boit, et c’est un liquide frais qu’on absorbe aux heures chaudes du jour. À l’aube, on met sur les braises et les brandons de la nuit les morceaux de racine restants et on obtient une gelée chaude ou tiède qui vous désaltère comme tout autre petit-déjeuner. Il faut évidemment une certaine accoutumance pour vivre comme les aborigènes sans eau, sans sel, et avec les seuls produits de la forêt : racines, tubercules, hérissons, miel, et en saison chaude, quelques fruits peu juteux. Les Mikea ne possèdent pas de récipient, car pour se servir d’une marmite il faut de l’eau, et de l’eau il n’y en a point ! Donc pas de plats cuisinés, pas de bouillies ni de soupes, et surtout pas de riz qui exige impérativement de l’eau pour être préparé. La plupart du temps les Mikea qui vivent par petits groupes dorment en plein air, dans des taillis assez épais et à l’écart des pistes et des sentiers. Ce n’est que pendant la saison des pluies ou lors de circonstances particulières comme une maladie ou un accouchement qu’ils se confectionnent des abris très sommaires à l’aide de branches fourchues et de panneaux garnis d’herbe. L’absence d’eau contraint à une vie ramenée à l’essentiel. Mais peut-être est-ce là le prix d’une liberté qu’ils n’échangeraient contre rien au monde… [caption id="attachment_62502" align="alignleft" width="379"] Un dessin illustrant la marche des esclaves et leurs familles en route vers Ampamoizankova.[/caption] Histoire - Il était une fois l’esclavage Le commerce de personnes n’est pas seulement un chapitre d’une quelconque histoire ancienne. Les échos qui nous parviennent assez régulièrement sur les conditions de vie des travailleuses malgaches dans certains pays du Golfe, sont là pour le prouver. Et n’a-t-on pas plus récemment découvert une filière consistant à acheminer vers la Chine des jeunes femmes de chez nous, dont la valeur marchande est tributaire de la couleur de leur peau ? Les écoliers français ont attendu la rentrée 2008 pour voir l’esclavage, aboli en 1848, enfin inscrit à leur programme. Incroyable mais vrai, dans un pays comme la Mauritanie, l’esclavage n’a été aboli que dans les années 80, et la loi criminalisant sa pratique votée en avril 2008. Tout aussi incroyable, isolé dans la splendeur de son insularité, Madagascar ne se sent guère concerné par un quelconque devoir de mémoire, alors que des pans entiers de sa population et de son histoire étaient touchés par l’esclavage. À Ambanoro, première véritable ville de Nosy Be qui était terre française, suivant le traité signé entre Louis Philippe et la reine Tsiomeko, les négociants indo-arabes continuèrent leur trafic jusqu’en 1884. Entre Madagascar et La Réunion, des milliers d’esclaves ont été embarqués pour le café au XVIIIe siècle, et la canne à sucre le siècle suivant. Parmi les marques qu’ils ont laissées, figurent des sites aux noms d’origine malgache comme Salazie ou Mafate. Nicolas Mayeur attestait en 1777, que la plupart de ceux vendus sur la côte Est provenait de l’Imerina. Ampamoizankova était pour eux l’équivalent de la Porte du Non-Retour à Gorée au Sénégal, qu’empruntaient les esclaves avant d’embarquer. Vice-Doyen de la Faculté des Lettres de La Réunion, tragiquement disparu en mer, Sudel Fuma avait pu retrouver la fiche de son aïeul arrivé de Madagascar dans les soutes des négriers en 1785. Il y était mentionné « peau claire, cheveux lisses ». Tout était dit. [caption id="attachment_62503" align="alignleft" width="371"] Pour Jean-Claude Vinson, il faut préserver l’habitat des Mikea pour préserver leur authenticité.[/caption] Passion - De Jimi Hendrix aux Mikea Son aïeul, un homme de science qui reçut ses distinctions des mains de Cambronne, avait représenté la France au couronnement de Radama II. Jean-Claude Vinson lui, était encore un mioche à l’école du Square Poincaré quand l’instit Monsieur Laville parla longuement d’un « peuple, les Mikea, dont on ignore jusqu’à l’existence ». Il n’en fallait pas plus pour fasciner à vie celui qui se définit comme « un métis amoureux de son pays natal ». Mais les Mikea attendront, car Jean-Claude « devenu grand » comme on dit, s’envole pour la France où, après s’être ennuyé dans le secteur bancaire, il plonge dans les coulisses du show business où il côtoie des noms mythiques comme Carlos Santana ou Joan Baez. N’oubliant pas son pays, il ouvre le portail de l’international à l’harmoniciste Jean Emilien, fait venir à Madagascar le saxophoniste Jim Como ou le groupe-phare du rock des années 70 Little Bob Story. Et il ajoute à son carnet d’adresses le nom du père de Jimi Hendrix. Il tombe sur des documents authentiques attestant que Jimi Hendrix rêvait de Madagascar à un point tel qu’il accompagnait ses signatures dans les hôtels de la mention Antakarana. Les rythmes 6/8 malgaches intriguaient le génial gaucher qui composa même un morceau qu’il intitula « Madagascar » dans lequel il brode une sorte de salegy… Jean-Claude Vinson lui-même arrive à la musique sur le tard, « pas de regret car si j’avais commencé plus tôt, peut-être n’aurais-je pas eu les idées que j’ai aujourd’hui ». Des idées qui transparaissent dans son album Mikea forest blues. La fascination inculquée par Monsieur Laville se concrétise, et il réussit à faire sortir de sa forêt, un authentique Mikea passionné de chant du nom de Refonitse et le fait monter à Tana pour que, du haut de la scène du Centre culturel Albert Camus, il lance un cri de détresse : « Mon peuple se meurt ! » La belle forêt des Mikea, en effet, est inexorablement grignotée par les agriculteurs Masikoro et fournit Toliara en charbon de bois… Son grand rendez-vous en terre « mikéenne» a eu lieu dans le sillage de la rencontre de Jean-Claude Vinson avec l’ethno-cinéaste Jean-Pierre Dutilleux. Ce réalisateur s’est fait une spécialité des sociétés menacées d’extinction, comme les Indiens de l’Amazonie du très médiatisé Chef Raoni. Ils réussissent à se faire admettre dans l’univers fuyant des Mikea, et les filment, jour après jour, dans leur incroyable quotidien, partageant avec eux le « baboho » de l’amitié. Le choc des cultures et les préjugés ne sont pas faciles à surmonter au premier contact avec ce peuple qui ne se lave pas- absence d’eau oblige- et se fait traiter de « sauvage » par d’autres ethnies. Triste, au point qu’un Mikea sorti de sa forêt a aujourd’hui presque honte d’avouer qu’il est un Mikea. Que faire pour qu’ils aient encore un avenir ? Pour Jean-Claude Vinson, il ne s’agit pas de les parquer comme s’il s’agissait d’une espèce faunistique. Une ouverture doit se faire, c’est même vital, mais leur authenticité doit être préservée. Et de mettre en garde contre certaines personnes qui pensent avoir trouvé un filon à exploiter, et se disent de cette micro-ethnie alors qu’ils ne le sont pas ou très peu… [caption id="attachment_62505" align="alignleft" width="329"] La prestation de Jaojoby a conquis la foule attirée par l’exposition de Mada-sur-Seine.[/caption] Rétro pêle-mêle Mada-sur-Seine. Du 15 au 24 avril 2005, Paris a accueilli Madagascar sur la bien connue Place Saint-Sulpice de Saint Germain des Prés, dans le cadre d’une campagne promotionnelle. Ce furent dix jours durant lesquels les visiteurs ont eu le loisir d’avoir un avant-goût d’un éventuel futur voyage dans la Grande Ile. Il y eut une trentaine d’exposants dans différents secteurs comme l’artisanat, l’agroalimentaire, le tourisme. Ils ont été installés autour de la grande fontaine de la Place, de manière à reconstituer un village traditionnel malgache. Ce fut aussi un beau prétexte pour la diaspora de se retrouver et faire admirer avec fierté la beauté du Vita Malagasy. Une série de conférences axées sur l’économie a été orchestrée par la Chambre de commerce et d’industrie d’Antananarivo. C’était l’utile, et pour ce qui est de l’agréable, la prestation de Jaojoby et ses danseuses a conquis la foule, le tout sur fond de photographies et de tableaux. On n’oubliera pas non plus le talent de deux stylistes malgaches qui ont brillamment complété ce tour des merveilles de Madagascar. Textes : Tom Andriamanoro Photos : Archives de l’Express de Madagascar - Internet
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