Un vaste mouvement trompeur de prosélytes


«Je n’eus pas la pensée de substituer entièrement notre enseignement officiel laïc à celui des congrégations », écrit en 1898 dans son Rapport d’ensemble, le gouverneur général Joseph Gallieni. Avant d’ajouter : « Indépendamment des considérations de politique extérieure ou nationale qui rendent un pareil changement difficile, l’importance, le nombre des établissements religieux étaient et sont tels que les ressources financières de la Colonie ne paraissent pas devoir lui permettre, même dans un avenir assez lointain, d’assumer une semblable dépense » (Pietro Lupo, Gallieni et la laïcisation de l’école à Madagascar, 1896-1904, revue Hier et Aujourd’hui, 1982). Le ministre des Colonies, Lebon, dans une lettre de décembre 1896, conseille d’ailleurs au Général d’accorder une attitude bienveillante « aux missionnaires de tous ordres qui apportent volontiers leur concours à notre œuvre civilisatrice ». Gallieni, quant à lui, manifeste au père Piolet sa ferme intention de les soutenir toutes, « parce que je crois que leur travail est utile au milieu de ces populations encore peu civilisées de notre nouvelle possession ». Le même projet de collaboration se voit dans la correspondance entre les directeurs des missions protestantes et lui. En effet, quelques semaines après l’arrivée de Joseph Gallieni, le pasteur Lauga, envoyé avec Kruger dans l’ile pour étudier la situation religieuse et organiser la Mission protestante française, lui écrit : « Les principes de large tolérance et d’entière impartialité religieuse que vous avez bien voulu affirmer et qui sont (…) ceux de notre grande et généreuse France, me donnent l’assurance que vous ferez droit à cette demande (…) » Gallieni accepte aussi de discuter des mêmes projets avec le pasteur Boegner qui lui écrit le 16 novembre 1898 : « En se chargeant des écoles qu’elle subventionne et dirige actuellement, la Société des Missions a eu conscience de rendre service, non seulement à la cause protestante, mais aussi à la Colonie. » Mais si catholiques et protestants sont disposés à collaborer avec l’Administration de la Colonie, il n’en est pas de même pour les deux confessions entre elles. D’un côté, « Le Journal des Missions évangéliques de Paris » de l’époque est plein d’articles « d’une extrême violence (souvent injuste) » contre les missionnaires catholiques auxquels on attribue même des intentions criminelles. De l’autre côté, la presse catholique n’est pas moins « ironique et blessante ». La conquête française, en fait, durcit davantage leurs rapports et le qualificatif « catholique » attribué à la France, ne fait que favoriser le catholicisme. D’après Pietro Lupo, « un mouvement de conversion en masse vers la religion des Français » se voit et des communautés protestantes, souvent avec leurs temples dont elles sont prioritaires, passent au catholicisme. Mais ce prosélytisme est dépourvu, en général, de véritables motivations religieuses : sous la royauté, l’adhésion au protestantisme de beaucoup de Malgaches ne signifie que l’adhésion à la religion de la reine, poursuit Pietro Lupo. Et à la fin du XIXe siècle, la présence de la France « catholique » entraine la conviction qu’il est nécessaire de se faire catholique. L’auteur de l’étude met en exergue la naïveté de beaucoup de missionnaires catholiques qui prennent au sérieux un tel mouvement et croient en la « ruine » du protestantisme. Cette lettre de Mgr Cazet du 9 octobre 1896, l’atteste. « Qu’allons-nous faire avec tant de villages protestants qui passent chez nous ? La digue est rompue chez les protestants, m’écrivait-on ces jours-ci ; ce n’est pas sur un point que ce mouvement se manifeste; de tous côtés, on le constate; et dès que la pacification sera faite, vu les bonnes dispositions du Général, nous serons débordés. » Le père Bardon de Fianaran­tsoa confirme : « En juillet 1896, nous comptions 209 postes et 11 410 élèves. En mars 1897, nous comptons 434 postes et 62 917 élèves (…) Or, espérons que nos progrès ne s’arrêteront pas là. L’œuvre des indépendants anglais touchant à sa ruine, viendra le tour des luthériens de Norvège. » Face à ces luttes confessionnelles, le gouverneur général doit prendre une décision, dont il fait part au secrétaire du district de la LMS du Betsileo, dans une lettre du 18 décembre 1896. « … Je tiens à affirmer bien haut les principes de tolérance religieuse qui guident ma conduite ici ; je tiens non expressément à ce que l’enseignement et l’éducation des populations malgaches soient dirigés dans un sens résolument français, afin de faire pénétrer progressivement partout notre influence. » Et il écrit aussi à Alfred Grandidier que même les missions anglaises devront entrer dans ces vues de la nouvelle administration. Il ne manque pas de rappeler en 1904, leurs « protestations de loyalisme ». Mais, précise Pietro Lupo, Gallieni restera pourtant méfiant vis-à-vis d’elles.
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