Au musée de l'histoire - Une place d’honneur aux nationalistes


Mon cher Premier Ministre, votre lettre du 24 octobre, et le projet de Traité qu’elle contient, me prouvent que vous ne vous rendez pas un compte exact de la situation. Vous tenez entre vos mains la paix ou la guerre. Réfléchissez y longuement, vous êtes un homme d’Etat expérimenté, et j’espère encore que vous accepterez mes propositions. Il n’y a pas d’autre solution. Cher ami, j’ai reçu la lettre personnelle que vous m’avez écrite hier, et voici ce que j’ai à vous dire. Nous ne cherchons pas querelle, et désirons ardemment la continuation des bonnes relations entre nos deux pays. Tout ce que nous avons fait a été dans ce but, bien que les agissements de certains Français dans notre royaume aient été intolérables. Je vous prie en conséquence d’exposer cela au gouvernement de la République. C’est là un extrait de la correspondance, courtoise mais ferme des deux côtés, échangée entre le Plénipotentiaire de la République française Le Myre de Vilers et le Premier Ministre Rainilaiarivony. Ce dernier n’avait pas souscrit à la version concoctée par la partie française d’un Traité donnant à la France la gestion de la politique étrangère de Madagascar, et l’autorisation de s’installer à Diego Suarez. Il y apporta des amendements notamment sur les traités commerciaux qui, rejetés par le Parlement français, furent une des causes de la seconde guerre franco-malgache. On cherchera dans la longue tradition nationaliste malgache, il sera difficile de trouver un nom à mettre devant celui de Rainilaiarivony, un vrai homme d’Etat comme le reconnaissait le représentant de la France, rompu au langage diplomatique et aux arcanes des relations internationales. Certains historiens ont avancé que, son nationalisme frileux, Madagascar aurait eu son « Ere Meiji » à la japonaise. Véritable homme fort du royaume bien que roturier, il régnait sur le Rova où la Reine n’était qu’un symbole. Il avait ses bureaux dans un bâtiment appelé Tranobiriky situé au Nord-Ouest de Manampisoa, mais utilisait le Tranovola pour ses audiences. Après sa destitution, il fut confiné avec son ministre des Lois Razanakombana dans son domaine de Tsarasaotra jusqu’à son départ en exil le 6 février 1896. En guise d’adieu, Ranavalona lui fit parvenir sa propre Bible et sa Croix de Commandeur de la Légion d’Honneur. En retour Rainilaiarivony lui envoya une pièce de cinq francs, accomplissant par ce geste le rite du Hasina, une marque de soumission consistant à faire don d’une pièce d’argent non coupée au souverain. Ce fut le dernier acte de nationalisme du vieux lion, qui continuait à ne reconnaître que l’autorité de la Reine malgré la défaite. Le 5 janvier 1897, Gallieni prenait un décret supprimant la royauté, sous prétexte que « les fauteurs de désordre évoquant constamment les ordres de la Reine afin d’entraîner les populations, j’ai décidé de prononcer la déchéance de Ranavalona dont l’attitude continue à nous être hostile, et dont la présence à Tananarive, dans la situation élevée qu’elle occupe, pourrait retarder pendant longtemps encore l’affermissement de la suprématie française à Madagascar ». Le 29 avril à 8h30 du matin, il recevait la reddition des deux chefs de l’insurrection Rabezavana et Rainibetsimisaraka dans la grande cour du Rova. Suprême humiliation, on obligea les deux patriotes à avancer, dos courbé et genoux fléchis, jusqu’aux pieds du Général. La place et aussi, en toute humilité, une vision plus complète de l’histoire du nationalisme malgache nous manquent. Il reste tant encore à évoquer, comme le serment secret des volontaires du VVS réunis dans le studio d’un photographe après avoir rasé les murs dans la nuit pour échapper aux patrouilles, l’engagement des écrivains malgaches dans Présence Africaine aux côtés des Léopold Senghor et autres Aimé Césaire, les vrais dessous des évènements de 1947 avec leurs milliers de morts anonymes dans les forêts de l’Est, la fin tragique du lieutenant Andriamaromanana, le Congrès de Toamasina de 1958 pour une vraie indépendance, l’euphorie du retour des députés du Mdrm Raseta, Ravoahangy, Rabemananjara ramenés au pays par le Président Philibert Tsiranana, le Mai 72 des étudiants, la révision des Accords de Coopération avec, à la tête de la délégation malgache, la paire Didier Ratsiraka et Albert Marie Ramaroson… L’intention est tout simplement de rappeler que la mémoire des combattants de la liberté se doit aussi d’être immortalisée dans un Rova d’Antananarivo en passe de devenir un vrai Musée national, sans pour autant amoindrir celle de la royauté. La cour du Palais par exemple mérite de porter le nom de Cour Rabezavana et Rainibetsimisaraka , n’en déplaise à ceux qui n’ont rien compris au sens de l’Histoire. Nous gardons intentionnellement une affaire montée de toutes pièces. C’était en mai 1896, et les services secrets français en mal de boucs émissaires avaient prétendu détenir la preuve d’un complot dont l’instigateur serait le Ministre de l’Intérieur Rainandriamampandry. Ce dernier fut condamné à être fusillé pour l’exemple en compagnie d’un membre du Conseil de la Couronne, le Prince Ratsimamanga. En marchant vers la mort, les deux hommes eurent un comportement diamétralement opposé. Alors que le Prince prenait à témoin la foule amassée sur le trajet « O ray vahoaka, helohina amin’ny tsy nataoko aho ity ! » (on me condamne pour ce que je n’ai pas fait) , Rainandriamampandry pour sa part avançait martialement la tête haute vers son destin. C’est lui qui, lors de l’implantation française à Diego Suarez, eut ce mot : « Que vous m’amputiez le bras au niveau du coude ou du poignet, la douleur sera la même ». A méditer en ces temps où Madagascar revendique le retour de ses Iles dites Eparses…
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