Je ne sais pas, donc je suis


Lettre du directeur d’une école de Singapour aux parents des élèves qui allaient passer leurs examens : «Rappelez-vous, parmi tous ces élèves, se trouve un artiste qui n’a pas vraiment besoin de comprendre les maths ; un futur entrepreneur qui n’a pas besoin de se souvenir de toutes ces dates d’histoire et des grands noms de la littérature ; il y a un musicien dont les notes de chimie n’auront pas un grand impact dans sa vie ; il y a un athlète qui devrait se concentrer sur sa forme physique plutôt que sur la physique en général»... Cette lettre n’a sans doute jamais existé. Pas plus que le directeur de l’école. Et la mention de Singapour peut être purement et simplement arbitraire. Ce n’est pas le plus important. Cette lettre aurait très bien pu être adressée aux parents de ma génération 1976-1986 de collégiens par un Préfet ou le Recteur de Saint-Michel, Amparibe, Antananarivo : je n’ai jamais eu d’inclinaison pour les maths, qu’ils soient d’algèbre ou de géométrie, la physique et la chimie, et pareille lettre m’aurait épargné des heures inutiles de cours scientifiques auxquels ma prédisposition littéraire ne comprenait rien et ne comprendra jamais rien. C’est la révélation de ce non-savoir et la juste reconnaissance de cette ignorance suprême qu’il nous faut introduire et légitimer dans le système éducatif. L’orientation devrait s’effectuer dès après les premières gymnastiques intellectuelles infructueuses : j’avais pu m’amuser des basse-cours dont il fallait compter les pattes du coq et de ses poules ; j’avais pu me prendre au jeu à calculer la coïncidence parfaite des deux aiguilles de la montre à Une heure, Cinq Minutes et des poussières de secondes (exploit dont seul fut capable Iouri Garisse, l’actuel Directeur Général des Impôts) ; mais, toujours je me suis souvenu de la diatribe de mon père qui se moquait que le goutte-à-goutte d’un robinet défectueux ne remplisse jamais un bassin au béton poreux... Tout le temps perdu à me souvenir des valeurs de «H» (hydrogène) ou de «O» (oxygène) pour que leur association produise une eau, accessoirement immédiatement disponible à un bête robinet ou devenu tellement banal sous la forme d’une bouteille d’eau minérale, tout ce temps gaspillé, j’aurais pu le mettre mieux à profit pour lire les classiques des humanités qui étaient davantage dans ma nature. Cette orientation capitale n’aurait pas attendu l’après-BEPC ou l’avant pré-Bac, puisque les fondamentaux du tronc commun auraient été dispensés dès les premières années de l’enseignement secondaire. Cette Culture générale-là comprendrait les rudiments de l’électrolyse, les principes de l’extraction de la racine carrée, les identités remarquables (a+b)2 = a2+2ab+b2, le théorème de Pythagore (le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs opposées), le principe d’Archimède (tout corps plongé dans un liquide subit, de la part de celui-ci, une poussée de bas en haut égale en intensité au poids du liquide déplacé)... Ça ne fera pas de moi un ingénieur nucléaire, mais, au moins, je ne mourrai pas idiot, outre que ça pourrait finalement servir dans la vraie vie de tous les jours. Dans cette vraie vie-là, seraient d’une utilité tout aussi concrète : l’intuition de la loi de Mendel (uniformité de la première génération, etc.) ; la connaissance du marcottage, du bouturage ou du greffage ; la pratique de l’indémodable balance de Roberval ; la vérité longtemps bafouée de Galilée (Et pourtant, elle tourne !) ; la gravité terrestre démontrée par Newton, etc. De leur côté, les ingénieurs en herbe, futurs astrophysiciens, potentiels Nobel d’économie, n’auraient pas eu à perdre de précieux points à ne rien comprendre au XVIIème français : Racine-Boileau-(de) La Fontaine-Molière (Corneille perchée sur la Racine de La Bruyère Boileau de la Racine Molière). L’orientation suprême : la résignation au non-savoir des uns ou des autres et l’acceptation du droit à l’ignorance de l’exhaustif. Je ne sais pas, donc je suis.
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