Saint Rendipité


Pendant que les pensées sont focalisées sur les difficultés de la vie quotidienne et son corollaire : l’actualité politique et les différentes tractations sur lesquelles repose l’avenir du pays, les miennes ont subi l’incursion d’un dessin. Au milieu de cette pagaille que les réflexions sur le sujet font à chaque fois naître, s’est incrusté ce qui est censé être une image d’Albert Einstein donnant un cours et qui, ayant déjà fini l’écriture au tableau de E=mc, allait écrire l’exposant à c. Trois bulles complètent le dessin : la première contient une question : « donnez-moi un nombre entre un et dix » ; la deuxième, une réponse à la question, probablement donnée par un élève : « 2 » ; réponse validée par le grand savant qui dit alors : « Allez hop ! On essaie avec deux ». Ainsi naquit, selon ce dessin qui ne tire évidemment pas son origine d’une quelconque histoire authentique, la formule qui allait changer le monde. Dans ma tête également, un mot accompagnait nécessairement ce dessin : sérendipité. La sérendipité s’est donc mise au milieu de l’actualité, a pollué mes réflexions : et si l’espoir ne résidait plus que dans la sérendipité ? La sérendipité, c’est l’instant qui suivit la fonte du chocolat qui était dans la poche de Percy Spencer alors que ce dernier se trouvait devant un radar. La chaleur produite par les ondes, découverte par hasard, est depuis ce moment-là une évidence. De cette découverte est né le four à micro-ondes. Un exemple plus fameux est donné par Christophe Colomb qui, en cherchant un chemin plus court pour atteindre la Chine et le Japon, découvrit par hasard un nouveau continent. La sérendipité, c’est aussi Archimède qui, en prenant son bain, trouve par hasard le principe de la poussée qui porte son nom ; c’est la réflexion générée par la chute acciden­telle d’une pomme sur la tête d’Isaac Newton qui a accouché de la loi de la gravitation universelle… Toutes ces anecdotes mettent en évidence le rôle important mais méconnu d’un actant sur de grands événements qui ont bouleversé notre conception du monde. C’est un actant qui tient une place prépondérante et qui intervient à chaque fois : le hasard. Dans l’attente d’un messie de chair et de sang qui, jusqu’à preuve du contraire, relève plus de la chimère que de la réalité immédiate, la question suivante s’est posée : et si ce messie tant attendu était une abstraction. Et si le salut venait de la sérendipité, le hasard ne serait-il pas un sauveur plus crédible que ces différentes têtes familières d’hier ou probablement celles que l’avenir nous réserve et dont certaines sont peut-être dans le gouvernement attendu avec la même fébrilité habituelle ? Les discours et les lamentations fatalistes sortent des lèvres et on est dans une situation extrême : la mort de l’espoir, facilement décelable, qui frappe un nombre considérable de la population. Si on n’a plus rien à attendre de nos semblables, on pourra toujours voir comme un dernier espoir la main bienfaitrice du hasard : peut-être daignera-t-elle se poser sur nous. Alors les scénarios possibles et imaginables de cette intervention salvatrice du hasard sont nombreux et se bousculent dans nos têtes. Citons quelques-uns. Si depuis des années, les différentes décisions politiques n’ont, pour la plupart, rien apporter de positif, espérons que le hasard fera ce qu’il a fait pour Qi Gon Jinn qui, dans la Menace fantôme (G. Lukas, 1997), après une cascade de revers, atterrit sur la planète Tatooine où il découvre un jeune garçon qui allait devenir le personnage central des deux premières trilogies de la saga Star Wars : Anakin Skywalker. Le hasard pourrait aussi intervenir dans les discussions anodines, au cours desquelles les sujets seront peut-être des thèmes bateau comme la météo ou les dernières modes mais l’irruption d’un mot pourra, comme dans certains épisodes de Dr House, faire tilt dans la tête de l’élu du hasard qui recevra alors comme un don du ciel la recette miracle tant recherchée qui nous extirpera de ce gouffre abyssal qui nous a propulsés sur le podium de la misère. L’antidote sera peut-être même issu de ces différentes maladresses, ces bourdes de toutes sortes auxquelles on nous a habitués. D’une succession de décisions hasardeuses et irréfléchies sortira peut-être la délivrance comme ce fut le cas de la soupe inventée, par hasard, par Astérix et Obélix dans Les lauriers de Cesar (R. Goscinny & A. Uderzo, 1972). Une mixture qui, malgré le choix aléatoire des ingrédients (confiture, poivre, sel, rognons, figues, savon de Marseille, poule non plumée, miel, piment, boudin, œufs, pépins de grenade) qui était surtout dicté par le but de donner la gerbe aux Romains qui les ont engagés comme cuisiniers, s’était révélée être une anti-gueule de bois infaillible, appréciée du fils ivrogne de la famille. Dans un contexte où on ne sait plus à quel saint se vouer, je donne un nom qui est certes difficile à retenir, mais que les désespérés pourront invoquer : Saint Rendipité. par Fenitra Ratefiarivony
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