Chassez le fédéralisme, il reviendra au galop !


Du 27 août au 12 septembre 2018 se dérouleront les prochaines universités d’été de l’Institut du Fédéralisme, créé en 1984 au sein de la Faculté de droit de l’Université de Fribourg, en Suisse. À Madagascar, pour dédiaboliser le mot de fédéralisme, la tenue d’ateliers scientifiques permettraient de mieux comprendre les principes du fédéralisme, de découvrir son histoire et d’en constater les avantages connus et reconnus dans des pays comme les États-Unis (depuis 1787), la Suisse (1848), le Canada (1867), l’Australie (1901), l’Allemagne (1949) ou l’Inde (1950). La crise politique actuelle, dont on semble être proche d’une solution provisoire, soulèvera une fois de plus (même in petto) la question des rapports centre contre périphérie, hauts-plateaux contre provinces côtières, Merina contre Tanindrana. Trois Côtiers à la tête du pays de 1960 à 2001; trois Merina leur ayant succédé depuis 2002 à ce jour. Imbiki Anaclet, auteur de «La réconciliation nationale à Madagascar. Une perspective complexe et difficile», exprime ainsi le point de vue des Côtiers : «Il faut rappeler que les origines diverses des Malgaches, essentiellement indonésienne, africaine, bantoue et arabe, se traduisant par des différenciations morphologiques évidentes, mais aussi généralement par le parler quotidien et les noms, se répércutent indiscutablement sur les comportements relationnels des différents groupes sociaux, illustrés par des discriminations sous diverses formes. Depuis l’indépendance, les crises politiques cycliques provoquées par les renversements des régimes politiques dirigés par des Présidents de la République originaires des provinces côtières, par des manifestations des rues initiées à Antananarivo, réveillaient les sentiments d’amertume de la destruction par des guerres meurtrières des anciens royaumes pérphériques et l’asservissement de leur population par les souverains merina au XIXème siècle». À travers plusieurs chroniques (depuis «Plaidoyer pour le fédéralisme», 05 mai 2006 à «Systole unitaire, diastole fédéraliste», 11 avril 2016), j’ai eu l’occasion de rompre le faux consensus unitariste qu’on prête aux Merina-Ambaniandro. Dans son article, «Des éléments de réflexion pour le choix constitutionnel de la forme de l’État adapté pour Madagascar»,(27 juillet 2015), Imbiki Anaclet résume ainsi le «grand schisme» de ces 46 dernières années : «Pour une bonne intelligence de l’enjeu de cette bipolarisation de la classe politique sur la forme de l’État, il n’est pas sans intérêt de préciser que, parmi les participants à la conférence nationale de 2010, globalement, une partie importante des unitaristes est originaire des hauts plateaux, tandis que l’essentiel des fédéralistes sont issus des régions périphériques. Ce stéréotype n’est pas cependant nouveau. Il date surtout depuis les événements politiques de 1991-1992 et continue jusqu’à la période 2009-2014. Mieux, ce clivage unitariste-fédéraliste reprend exactement le schéma des années 1972-1974 de «centralisation» prêté au pasteur Andriamanjato Richard, alors Maire d’Antananarivo et président du parti Akfm, contre «décentralisation» des professeurs Albert Zafy et Justin Manambelona, tous deux ministres du gouvernement du général Gabriel Ramanantsoa». Le professeur suisse Adreas Auer était venu plusieurs fois à Madagascar discuter du fédéralisme, qui est d’abord une technique d’organisation de l’État mais pas un objet contondant dont les cinq provinces côtières se serviraient pour tuer la province centrale d’Antananarivo. Un autre universitaire suisse, de l’Institut du Fédéralisme, Nicolas Schmitt, s’est exprimé tout récemment (24 mai 2018, dans La Vie économique) sur la question. Dans une démarche de partage, en attendant un Institut du Fédéralisme dans une université malgache, cet extrait de son article, «Fédéralisme contemporain : la quête impossible de la souveraineté partagée» : «En Suisse, le fédéralisme est tellement ancré dans les moeurs que l’on ne s’étonne même plus de ses avantages. Or, ceux-ci sont doubles : premièrement, le fédéralisme autorise de multiples fidélités, gage de respect envers les minorités. Au lieu d’obliger les citoyens à s’identifier à une nation (qui leur est peut-être étrangère), à une ethnie (qui n’est peut-être pas la leur) ou à une langue (qu’ils ne parlent peut-être pas), le fédéralisme permet d’exprimer sa fidélité selon plusieurs critères (...) L’autre avantage du fédéralisme est qu’il autorise le développement du pays tout entier. L’autonomie des États-membres leur permet d’exprimer leur potentiel sans dépendre du bon vouloir d’un gouvernement central. Or, dans la plupart des États, la vie politique et économique se concentre autour de capitales souvent surpeuplées, le reste du pays ressemblant à un désert». Dans ce court extrait, je crois avoir reconnu entre les lignes le Madagascar de ces soixante dernières années depuis la loi-cadre (1957), son sous-développement, sa capitale asphyxiée, ses régions sous-équipées, ses crises politiques cycliques, sa peur d’un simple mot.
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