Mon plaidoyer malgache (2)


Antoine de Padoue Rahajarizafy (1911-1974), Régis RajemisaRaolison (1913-1990), Siméon Rajaona (1926-2013). Voire, JeanBaptiste Razafintsalama dit Dama-Ntsoha (1885-1963), dont les ouvrages «peu orthodoxes» mériteraient réimpression, ou Prosper Rajaobelina (1913-1975), méconnu au-delà du premier cercle littéraire «jésuite»: cette génération, encore imprégnée de la malgachitude du XIXème siècle mais bilingue francophone au moins par pragmatisme, nous a légué les classiques de la grammaire, de la littérature, de la linguistique et de la philosophie malgache. Mais, à part connaître la filière des bouquinistes antiquaires, dont le cours n’est pas «grand public», ces «monu­ments» sont désormais introuvables. Et surtout inaccessibles aux apprentis en langue malgache, sauf à trouver la volonté politique d’une réédition, véritable oeuvre de salut culturel public. De Régis Rajemisa-Raolison, voici ce qu’en dit le R.P. Paul François de Torquat: «Il est un témoin vivant de ces «anciens» parfaitement bilingues, ayant su assimiler, sans confusion comme sans conflit majeur, la culture française et la culture malgache» (in Le Collège Saint-Michel : 1888-1988, p.103, note 15). Né le 8 mai 1913, Régis Rajemisa-Raolison fut, pendant plus d’une décennie, à partir de 1933, instituteur au Collège jésuite de Saint-Michel. Poète d’expression française comme d’expression malgache, il est l’auteur du «Dictionnaire historique et géographique de Madagascar» (1966), mais également du «Rakibolana malagasy» (1985). Au sein du «Centre d’Études et d’Information sur la Langue et la Civilisation malgaches», il fut proche collaborateur du professeur Siméon Rajaona (1926-2013), auteur de son côté des très malgachophones «Takelaka Notsongaina» (1961 et 1963). À propos d’Antoine de Padoue Rahajarizafy, séminariste à l’époque, avant de devenir jésuite, et futur premier Provincial malgache, le R.P. Paul François de Torquat, toujours lui et jésuite lui-même, écrivait: «Fin lettré, le Père est très sensible aux valeurs de la civilisation malgache et souffrit longtemps de l’incompréhension de certains de ses supérieurs. Tiraillé entre deux cultures, il fera connaître par ses oeuvres et son action les richesses de la culture malgache» (in Le Collège Saint-Michel: 1888-1988, p.90). Né le 7 avril 1911, Antoine de Padoue Rahajarizafy nous a laissé des monuments bien malgaches (Ny Hanitra NentindRazana, 1950; Ny Ombalahibemaso, 1958; Filôzôfia malagasy: ny fanahy no olona, 1970), mais prêcha également en français pour mieux parler de la langue malgache (Essai sur la grammaire malgache). En octobre 1945, dans un immeuble d’Ambohidahy, proche du Collège Saint-Michel, le R.P. Rahajarizafy tint à ouvrir une section secondaire malgache à l’adresse des jeunes Malgaches n’ayant pas la citoyenneté française. Protestation silencieuse mais agissante d’un jésuite patriote blessé dans sa conscience par la fermeture arbitraire du «collège malgache» à Saint-Michel, en 1942, malgré 54 ans d’existence sans discontinuer. Sa résistance sera récompensée puisque «son» Collège malgache rejoindra le Collège Saint-Michel, dès 1947. Antoine de Padoue Rahajarizafy (1911-1974) et Régis Rajemisa-Raolison (1913-1990): deux contemporains de cette génération d’immédiate post-conquête coloniale, deux collègues associés à l’élaboration d’un nouveau programme des études pour la section malgache du Collège Saint-Michel en 1935-1936. Deux sensibilités respectives qui ont, cependant, pareillement contribué à exalter cette chose ancienne qui continue de leur parler par de là, et malgré, l’étouffoir colonial. Pour réveiller un tel écho, toujours audible dix, vingt, trente, quarante, cinquante ans, après la défaite de 1895, il fallait bien que cette nostalgie, cette tradition, cette Culture, ne fût pas que d’écume. «Sans confusion, comme sans conflit majeur»: dilemme pas tellement schizophrénique puisque facilement, presque élégamment, tranché par ce mot, de 1993, d’un autre homme de lettres, Henri Rahaingoson (1938-2016): «andrianiko ny teniko, ny an’ny hafa koa feheziko». Je chéris ma langue, je n’en maitrise pas moins celle des autres. On disait de Jean-Jospeh Rabearivelo, né en 1901, qu’il était déchiré entre son être malgache et son être français, jusqu’à trancher ce noeud gordien par son suicide (1937). À l’automne de sa vie, son obstination à écrire le même thème en vis-à-vis dans les deux langues (Presque-Songes, 1934 et Traduit de la Nuit, 1935) était-elle démonstration littéraire ou thérapie psy pour ne plus avoir à choisir, donc éliminer? Laissons à son collègue, et ami, (Jacques Rabemananjara: 1913-2005) le soin de conclure: «Tout «Traduit de la Nuit» serait à citer comme tout «Presque-Songes». Mais l’une et l’autre oeuvres ne nous sont pas seulement précieuses et chères pour leur beauté littéraire. Elles rayonnent à nos yeux d’un autre mérite, celui d’offrir un modèle de solution au conflit de notre aventure intellectuelle. Rabearivelo nous y montre à quelle hauteur et à quelle profondeur atteint et s’épanouit une personnalité malgache, éprise des propres valeurs de sa race. La culture étrangère ne vaut que si elle nous aide, par la distinction et l’efficacité de son apport, à mieux creuser au dedans de notre conscience et nous incite à davantage apprécier la saveur forte et douce de demeurer nous-mêmes».
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