Conjoncture - Débat sur les situations d’exception en pleine crise sanitaire


On continue actuellement dans les coulisses politiques et sur les plateaux de télévision de discuter de l’opportunité de la situation d’exception dans le pays, en raison de la crise sanitaire. Tout le monde semble admettre que l’avènement d’une épidémie dangereuse nécessite des mesures exceptionnelles. Les discussions étaient ainsi moins passionnées quand, en mars 2020, le président de la Répub­lique a pour la première fois décrété l’état d’urgence sanitaire à travers le décret n°2020-359 du 21 mars 2020, « proclamant l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire de la République ». Cependant, les échanges concernant la loi n° 91-011 du 18 juillet 1991 relative aux situations d’exception, qui est souvent citée et qui fait partie des textes de référence de la situation d’exception actuelle dans la Grande île, n’en sont pas moins virulents. Pour le Réseau francophone de diffusion du Droit « La circonstance de guerre est certainement le type le plus achevé de la circonstance exceptionnelle susceptible de justifier une extension des pouvoirs des autorités administratives ». De même, dans un mémoire de Maîtrise en Droit administratif général en 2009, Razafindralambo Eddie réitère que « Le type originel de la circonstance exceptionnelle est la circonstance de guerre: celle-ci s’est d’abord présentée sous la forme de la théorie des pouvoirs de guerre ». Il met l’accent également, dans ces circonstances, sur l’« Aggravation des pouvoirs de police ». Situation de guerre? Les acteurs politiques du monde semblent admettre également que la situation marquée par une pandémie n’est pas loin effectivement d’une situation de guerre. L’évocation de la loi de juillet 1991 a été toutefois à l’origine de vives discussions à Madagascar. Le débat sur le sujet n’est pas près de finir actuellement, surtout à la suite de la récente publication de deux décisions interministérielles concernant diverses émissions politiques sur des stations audiovisuelles privées dans le pays. Si pour les juristes proches du gouvernement, il vaut mieux s’en tenir essentiellement au principe qu’un texte de loi reste valable et applicable tant qu’il n’a pas été abrogé, les membres de l’opposition voient la situation d’une autre manière. Le juriste proche de l’opposition, Paul Edouard, n’hésite pas à parler de loi «en désuétude » et « anachronique », car se référant à des institutions inexistantes ou des lois et des principes qui ont été déjà modifiés au cours des derniers temps. L’article 10 de la dite loi spécifie, à titre d’exemple que « Toute infraction à l’article 79 de la loi n° 90-031 du 21 décembre 1990 sur la communication commise en n’importe quel point du territoire national durant une situation d’exception sera obligatoirement punie de l’emprisonnement », alors que le principe de la « dépénalisation » du délit de presse a été un nouvel apport de la loi sur la communication depuis 2016, argumente-t-il. Éviter les polémiques En outre, l’évocation de notion ou d’institution qui n’ont plus cours comme la « République Démocratique de Madagascar », le « Conseil Suprême de la Révolution » ou encore l’«Assemblée nationale populaire », rappelle que le texte a été élaboré sous une période révolue de l’histoire de la République de la Grande île. Les autorités malgaches actuelles s’en sont tenues cependant à l’esprit de la loi, préférant éviter les polémiques. L’article 13 de la loi spécifie, en effet, que « La situation d’urgence peut être proclamée soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou à la sécurité de l’État, soit en cas d’événement qui, par leur nature et leur gravité, présentant le caractère de calamité publique ». Les autorités se réfèrent fréquemment aussi à l’article 61 de la Constitution malgache qui stipule que « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, son unité ou l'intégrité de son territoire sont menacées et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics se trouvent compromis, le président de la République peut proclamer, sur tout ou partie du territoire national, la situation d'exception, à savoir l'état d'urgence, l'état de nécessité ou la loi martiale. La décision est prise par le président de la République en Conseil des ministres, après avis des présidents de l'Assemblée nationale, du Sénat et de la Haute Cour constitutionnelle ». Le même article martèle en son alinéa 2 que « La proclamation de la situation d'exception confère au Président de la République des pouvoirs spéciaux dont l'étendue et la durée sont fixées par une loi organique ». Pour les juristes proches du gouvernement, le principe établi par ces textes transcende les notions de « désuétude » et d’« anachronisme » mis en avant par certains opposants.
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