Sur les traces botaniques de Pierre Boiteau (1911-1980)


En d’autres temps, la visite de ce 30 avril 2020, au Parc Botanique et Zoologique de Tsimbazaza (PBZT) de l’ambassadeur du Japon n’aurait pas attiré mon attention. Mais, l’absence de médicament pharmaceutique contre le Covid-19 constitue un rappel brutal à plus d’humilité vis-à-vis des plantes médicinales dont la biodiversité de Madagascar recèle en profusion. Au lundi de Pentecôte 2019, je déplorais l’invasion humaine de ce Parc de Tsimbazaza : le vacarme des «animations» humaines ne pouvait que déranger la quiétude animalière. Plutôt que «botanique et zoologique», Tsimbazaza est surtout devenu un «parc» pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’échapper autrement du béton et du bitume de la Ville. Malheureusement, la mission éduquer-à-la-nature et la vocation convertirà-l’Écologie d’un parc botanique et zoologique dans un pays à l’endémisme floral et faunal légendaire passent après la destination simplement champêtre. Il y a pourtant à Tsimbazaza un musée paléontologique et un autre ethnographique. Le parc botanique devait être une bibliothèque à ciel ouvert de ce que la nature malgache met à disposition tant que l’humain en fait prélèvement mesuré. Les animaux en cage sont à la fois acte d’accusation, interpellation et appel à prise de conscience : la vie en captivité de ces espèces endémiques deviendra malheureusement la norme pour la faune sauvage si l’humain ne réfrénait pas sa pression sur leur habitat et leur nourriture. nombre de leurs prédécesseurs (lémuriens géants, hippopotames nains) n’existent déjà plus qu’à l’état de squelette ou de fossile dans le musée de paléontologie. L’histoire du PBZT a été racontée par Lucile Allorge-Boiteau, elle même docteur ès Sciences : «Histoire du Parc Botanique et Zoologique de Tsimbazaza (Tananarive-Madagascar)», S. Mollet et L. Allorge-Boiteau, éditeur Claude Alzieu, Grenoble, septembre 2000. C’est son père, Pierre Boiteau (1911-1980), qui après avoir créé le Parc de l’Est à Antsirabe, devient administrateur du PBZ de Tsimbazaza, à sa création le 18 juillet 1935, où il organisa le premier jardin des plantes médicinales malgaches. Née en 1937 à Antananarivo, Lucile Allorge-Boiteau a également signé et co-signé plusieurs publications sur la flore malgache : «Plantes médicinales de Madagascar» (Karthala, 1993) ; «Index des noms scientifiques avec leurs équivalents malgaches» (Pierre Boiteau, Marthe Boiteau, Lucile Allorge-Boiteau, 500 p., éditeur C. Alzieu, Grenoble, 1997) ; «Dictionnaire des noms malgaches des végétaux» (Pierre Boiteau avec la contribution de Marthe Boiteau et Lucile Allorge-Boiteau, 1990 p., éditeur C. Alzieu, Grenoble, juillet 1999). Perpétuant une tradition décidément familiale, Maxime Allorge, le petit-fils, a créé l’Arboretum Pierre Boiteau, dédié à son grand-père. Occupant 2,5 hectares le long du lac d’Ivato, cet Arboretum abrite 600 espèces de plantes pour la plupart endémiques de Madagascar. Déjà à l’origine du Lemurs Park d’Imerintsiatosika, PK 22 sur la Rn1, Maxime Allorge a par ailleurs co-signé avec sa mère Lucile Allorge-Boiteau le livre «Faune et flore de Madagascar» (Karthala-Tsipika, 2007). Le nom de Pierre Boiteau est définitivement assocé à celui de la Centella asiatica dans les livres de botanique et de chimie biologique. Hydrocotyle asiatica ou Centella asiatica pour les scientifiques, Talapetraka à Madagascar, Mandukaparni en sanscrit, Bua bok en thaï, Gutu Kola dans la médecine ayurvédique, les propriétés de la Centella asiatica sont connues depuis plusieurs centaines d’années. En Inde, les tradi-praticiens découvrirent la plante («l’herbe du tigre») en étudiant les tigres qui s’y frottaient pour soigner leurs blessures. En 1937, à Madagascar, Pierre Boiteau a été initié à ses vertus thérapeutiques par un guérisseur traditionnel qui y avait recours contre la lèpre. La pharmacologie et la phytothérapie malgaches doivent autant aux célébrités (Henri Perrier de la Bâthie (1877-1958), Albert RakotoRatsimamanga (1907-2001)...ou Pierre Boiteau) qu’à des collaborateurs plus discrets : J. Devanne, R. Razafimahery, M. Chanez, Thomas Rahandraha, S. Jacquard... La bibliographie permet de rencontrer ces contributeurs méconnus, sans vraiment faire leur connaissance : qui est, par exemple, le J.Fayolle, co-signataire avec Henri Thiers, Pierre Boiteau et Albert Rakoto-Ratsimamanga, de l’article «Active principle of Centella asiatica», «initiating agent» in the process of budding, the first stage in the healing (cicatrisation) of cutaneous ulcers, Lyon Med. N°27, 1957 ? Le professeur Henri Thiers (1902-1979) était un dermatologue de renom à Lyon, dans la même ville que le Dr. Victor Augagneur (1855- 1931), lequel occupait la chaire de Clinique des maladies vénériennes et syphilitiques à l’hôpital de l’Antiquaille avant sa nomination comme Gouverneur Général de Madagascar en 1905. Quant à Bontemps, il a pour lui les publications qui font foi de sa primo-découverte scientifique (cf. Bontemps JE, 1941, Sur un hétéroside nouveau : l’Asiaticoside isolé à partir de Hydrocotyle asiatica L. (Ombellifères), Bull. Sci. Pharmacol 49 : 186-191 ; Bontemps M, 1942, Sur un glucoside nouveau : l’Asiaticoside isolé à partir de Hydrocotyle asiatica (Ombellifères), Gazette médicale de Madagascar, 15, 29-33). Mais, l’apport de scientifiques moins connus mériterait meilleure mention : cf. Lucile Allorge et P. Roederer, Apports des scientifiques français à la recherche scientifique à Madagascar, passé et présent, pp.383-392, in Présences françaises outre-mer (XVIè -XXIèmes siècles), Tome 2, Karthala, 2012. La contribution de Pierre Boiteau dans la reconnaissance scientifique de la Centella asiatica, base du cicatrisant Madécassol, est attestée par les articles qu’il co-signa avec Albert Rakoto-Ratsimamanga, au premier rang desquels : «L’asiaticoside extrait de Centella asiatica et ses emplois thérapeutiques dans la cicatrisation des plaies expérimentales et rebelles (lèpre, tuberculose cutanée et lupus)», 1956, Thérapie 11 (1) : 125-149. Une note dans les Annales de l’Université de Madagascar passe en revue, presque par inadvertance, les scientifiques associés de près ou de loin au Madécassol : «Le Madécassol est constitué par l’ensemble des triterpénoïdes extraits de Centella asiatica de Madagascar (la composition des plantes de la même espèce botanique mais provenant de Ceylan et diverses régions de l’Inde a été étudiée par d’autres auteurs mais s’est révélée différente). Il est constitué pour 94,5% d’asiaticoside et d’acide asiatique. La présence de ce dernier corps à l’état libre dans la plante, pressentie par Devanne et Razafimahery, a été démontrée dans notre laboratoire par chromatographie en couche mince suivant la technique décrite par Rahandraha et coll. (M. Chanez, P. Boiteau, S. Jacquard). Ce travail a permis de montrer la présence, dans le Madécassol, de deux autres triterpénoïdes (représentant respectivement environ 5% et 0,5% du Madécassol), dont l’isolement et l’étude sont actuellement en cours. Le Madécassol se présente comme une poudre blanche, insoluble dans l’eau, entièrement soluble dans l’alcool à 70%» (P. Boiteau et M. Chanez, Structure chimique des triterpénoides cicatrisants maheurs, in Ann. De l’Univ. De Mad. (médecine), t2, 1964, V.4, page 110). Définitivement meilleur botaniste que historien (son livre de 1958, «Contribution à l’histoire de la nation malgache» est à considérer avec la «distanciation intellectuelle» indispensable à l’égard d’un plaidoyer trop passionné pour être objectif), Pierre Boiteau, collègue syndicaliste d’un Joseph Ravoahangy-Andrianavalona (1893-1970), a vu son amour pour Madagascar et les Malgaches couronné d’un timbre à son effigie (1er septembre 1982). Seulement, le biais idéologique de la République socialiste malgache n’a pas consacré son apport à la botanique et aux vertus des plantes médicinales malgaches, mais plutôt sa «contribution» anticoloniale pour laquelle il fut expulsé de Madagascar après le 29 mars 1947. DATAS : 1937 : Pierre Boiteau et Charles Grimes réussissent à extraire du glucoside des feuilles d’hydrocotyle asiatica (ou Centella asiatica), le «Talapetraka» des tradi-praticiens malgaches 1942 : le chimiste M. Bontemps isole un autre glucoside qu’il baptise asiaticoside. Ses collaborateurs J. Devanne et R. Razafimahery en étudient la structure chimique et proposent la formule : C21H34O8 (cf. Edgar Sach, Thèse de doctorat de 3ème cycle, Chimie biologique, Paris, 9 juin 1958) 1948 : au Congrès international de chimie biologique, P. Boiteau, A. Buzas, E. Lederer et J. Polonsky, proposent une autre formule chimique pour l’asiaticoside 1949 : début de l’expérimentation pharmacologique au laboratoire du Dr. Albert Rakoto-Ratsimamanga, Faculté de Médecine (Paris) 1957 : Albert Rakoto-Ratsimamanga, Henri Thiers et Pierre Boiteau, développent le Madécassol, un cicatrisant dont le principe actif est extrait du «Talapetraka» 1957 : fondation de l’IMRA (Institut Malgache de Recherches Appliquées)
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