Rêves de saphir madagascariensis


«Priceless Sapphire» ont-ils décidé de le nommer : le plus gros saphir non taillé du monde avec ses 90 kilos et 451.500 carats. D’un Institut pour la protection de l’héritage culturel, en Slovénie, il va être exhibé à Dubaï. Écrins et dorures à mille lieux désormais de cette obscure mine de la région de Mananjary, dans le Sud-Est de Madagascar, où il fut découvert en 2019. Sa taille qui sort de l’ordinaire et les millions de dollars qu’on lui suppose font oublier des questions, d’ailleurs devenues anecdotiques. Pour accéder à cette pierre, il a fallu couper des arbres, dégager une clairière et bouleverser la terre. On imagine le désarroi des animaux de cette forêt : un corridor forestier coupé en deux ilots, l’impossibilité d’aller à découvert trouver des partenaires exogames, l’exacerbation de la lutte pour l’espace vital entre plusieurs groupes rivaux. On s’émeut plus facilement pour les si mignons lémuriens, tandis que d’autres espèces moins photogéniques ou carrément patibulaires s’acheminent silencieusement sur la même voie de l’extinction. Quelle autorité administrative ici, qui a signé l’exportation définitive de cette merveille de la Nature, et quel commissaire d’exposition là-bas, aurait une pensée coupable pour des amphibiens, des arachnides ou des lacertiliens. «Priceless», n’a-pas-de-prix, «Tsitakabidy» : cette pierre, sortie de l’ordinaire, est désormais précédée d’une histoire très valorisante. Si les autorités malgaches gardent un silence, qu’on suppose embarrassé, sites internet et catalogues sont bien plus diserts. Ils évoquent ouvertement les «mines illégales» après avoir précisé être à pied d’oeuvre depuis vingt ans ; pour une traçabilité, dernier lien à attester de la filiation «madagascariensis», ils indiquent volontiers la position de leur concession (21°Sud, 48° Est) avant d’avouer être dans l’ignorance totale de l’endroit exact du gisement : les vendeurs le leur ont caché de peur qu’une horde de mineurs illégaux déboulent et saccagent définitivement ce qu’il y reste de Nature... L’univers de l’extraction minière charrie un rien de mystérieux voire de sulfureux. Que savent les autorités malgaches de tous ces étrangers qu’on retrouve en amont (financement du matériel) ou en aval (achat du butin) et dont certains font sporadiquement la Une des journaux, indûment lestés de quelques carats de gemmes ou grammes d’or à l’aéroport d’Ivato. Ils sont arrivés avec quel type de visa à Madagascar, pour s’y établir et demeurer? Aux Sri Lankais, nombreux dans le secteur, il faut reconnaître une longue et fructueuse expérience en industrie minière. La «Blue Belle of Asia», un saphir de 392 carats, fut adjugée 17.5 millions dollars en 2014. «Serendipity Sapphire» est un amas de saphir découvert sous une maison en 2021 : avec 510 kg, 2.5 millions carats, le bloc est estimé jusqu’à 100 millions de dollars. Quand tout est aussi transparent, le pays peut annoncer avoir reçu un demi-milliard de dollars, comme en 2020 : revenus parfaitement budgétisés du commerce de pierres brutes, diamants taillés et bijoux montés. Des montants faramineux qui font d’autant plus rêver que le saphir fut un peu nôtre. Mais, pas plus que les îles éparses, Madagascar n’obtiendra pas sa restitution. Mais, peut-être qu’une traçabilité avérée, «madagascariensis», permettrait de riper quelques miettes des centaines de millions de dollars : cela ferait beaucoup d’ariary pour la restauration de la Nature, pour l’entretien des routes nationales, pour l’équipement de vrais hôpitaux, pour la construction d’écoles dessinées par de vrais architectes. Pour quelque chose de pérenne, au-delà de l’inauguration très médiatique, un truc structurel sur lequel s’articulera d’autres machins tout aussi vraiment utiles.
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