POIVRE SAUVAGE - Fort engouement pour la filière


Le poivre sauvage de Madagascar ou Tsiperifery est une épice endémique dont l’exploitation et la commercialisation suscitent un vrai engouement depuis quelques années. L’Express de Madagascar se penche sur les perspectives offertes par ce nouveau créneau. Les poivriers sauvages de Madagascar appartiennent au genre Piper. Il s’agit d’un produit forestier non ligneux que l’on rencontre notamment dans les forêts de l’Est malgache. Ils regroupent potentiellement plusieurs espèces ou variétés. Les lianes de poivre sauvage connaissent deux pics de fructification dans l’année. Le premier est en juin-juillet et le second en septembre-novembre. Mais on peut trouver des lianes fructifères de juillet à avril selon les zones considérées. La maturation des grappes nécessite 2 à 4 mois. Ainsi, sur le même plant, on trouve des lianes à maturité différente. De même, sur la même grappe, les grains ne sont pas matures simultanément. Trois bassins de collecte de poivre sauvage ont été identifiés : les corridors de l’Angavo (avec Anjozorobe comme centre névralgique), de l’Ankaï (polarisé autour de Moramanga) et de Fianarantsoa. Le corridor de l’Angavo est le premier à avoir été exploité. Des filières d’approvisionnement se sont mises en place autour d’Anjozorobe depuis 2008. Est ensuite venu le tour de l’Ankaï, sur l’axe Moramanga-Anosibe An’Ala. Enfin, le corridor de Fianarantsoa, dont l’exploitation avait commencé vers la fin des années 2000. En termes de fructification, il a été observé 1 à 25 kilogrammes de grappes fructifères par liane adulte, avec une moyenne de 5 kilos par liane. Au niveau du rendement, la production d’un kilogramme de poivre sec de qualité moyenne nécessite 6 kilogrammes de poivre frais et un kilogramme de poivre sec de qualité supérieure demande le traitement de 10 kilos de poivre frais. Les prix de vente sur les marchés européens, qui dépassent souvent les 100 euros le kilogramme, illustrent le fort potentiel commercial du poivre sauvage. Découvert vers le milieu des années 2000, le poivre sauvage fait l’objet d’une attention particulière et d’une demande croissante sur le marché international ces douze dernières années. Les restaurateurs et les épiceries fines de luxe d’Occident l’ont rapidement adopté. Ainsi, le poivre sauvage n’a pas mis longtemps pour jouir d’une réputation internationale. Jusqu’ici, Madagascar est le seul pays qui exploite et exporte cette épice. Les entreprises de collecte et d’exportation implantées sur l’île s’activent pour développer la filière. Dès lors, plusieurs initiatives ont vu le jour, souvent sans concertation, et se font de plus en plus concurrence sur un marché rémunérateur qui ne cesse de croitre. L’exploitation de la ressource en poivre sauvage pour la commercialisation à des fins d’exportations est relativement récente. Ce n’est que depuis 2008-2009 que les distributeurs et exportateurs se sont intéressés à ce nouveau marché. Le poivre sauvage s’exporte à destination des épiceries fines et des restaurants gastronomiques d’Europe, des Etats-Unis, et même du Japon. L’exploitation de cette épice endémique permet aux opérateurs économiques de se positionner sur un marché de niche. Des filières nationales se sont donc développées en quelques années. A caractère expansionniste, elles tentent de répondre à la demande croissante des importateurs. Quelques études ont été réalisées sur la filière dont celle publiée, en 2014, par le Cirad et le Fofifa intitulée «Synthèse bibliographique sur la filière poivre sauvage à Madagascar». Source de revenus locale Le poivre sauvage a d’abord été utilisé par les populations pour l’autoconsommation et la médication. La commercialisation sur les marchés locaux où dans des villes proches des bassins de collecte était insignifiante. Au-delà des utilisations traditionnelles et depuis le développement de la filière, les populations riveraines de la forêt se consacrent largement à la collecte du Tsiperifery pendant la campagne. Vendu en frais entre 2000 et 3000 ariary, il représente une source de revenus non négligeable pour les populations des bassins de collecte. Ainsi, le poivre sauvage revêt une importance socioéconomique de premier ordre pour les populations locales. La méthode de cueillette la plus répandue consiste à abattre le tuteur. La liane peut grimper jusqu’à plus de 15 mètres, hauteur où se situe la couronne fructifère. Par ailleurs, les tuteurs sont en général lisses (dépourvus de branches), ce qui rend l’escalade de l’arbre difficile sans équipement approprié. La solution adoptée par les cueilleurs jusqu’à présent est l’abattage de l’arbre. L’arrachage de la liane est également pratiqué, cependant, la perturbation engendrée ne permet pas à cette dernière de «reprendre». La régénération de la ressource est ainsi compromise. De plus, compte tenu des revenus engendrés par l’exploitation et l’augmentation de la demande de la part des agents commerciaux, de plus en plus de paysans tendent à s’investir dans l’exploitation du poivre. En outre, l’accès à la ressource n’est pas contrôlé. Dans les différents bassins de collecte, les paysans exploitent les ressources forestières sans réglementation, que la forêt soit constituée en aire protégée ou non. Ces facteurs sont à l’origine de l’accroissement de la pression anthropique sur la ressource ces dernières années. Une meilleure appréhension de l’organisation de la filière et des stratégies des acteurs s’avère donc indispensable afin d’envisager la mise en place d’une stratégie d’exploitation durable du poivre sauvage. En amont de la filière se trouvent les cueilleurs. Leurs villages se trouvent dans un rayon allant de 5 à 25 kilomètres en lisière de la forêt. Ils attendent d’être approchés par des collecteurs avant de commencer la récolte. On peut considérer ces cueilleurs comme «actifs», dans la mesure où ils se consacrent à cette activité pendant toute la campagne. Ceux qui en ont les moyens engagent même des journaliers pour s’occuper des travaux agricoles pour pouvoir partir en forêt plusieurs jours. Certains cueilleurs ne pratiquent la récolte que ponctuellement, lors d’autres activités en forêt. La pratique de cette activité ne représente aucun coût pour les cueilleurs. Ils se munissent d’une hache, d’un sac, et consacrent dans la forêt. [caption id="attachment_142807" align="alignright" width="551"] Ceuillette de poivre dans la forêt.[/caption] Un produit de luxe La chaîne de valeur de filière poivre sauvage se caractérise par deux segments au cours desquels les agents et les prix pratiqués changent sensiblement. Pour le premier, le poivre est vendu en frais du cueilleur à l’exportateur. Pour le second, il est transformé par un intermédiaire, le collecteur. La filière poivre sauvage se positionne sur un marché de niche à l’export, situé en Europe, et surtout en France. Sur le marché hexagonal, ceux sont des épiceries de luxe qui s’intéressent au produit. On cite souvent le Comptoir des poivres, EthicValley, l’Epicerie de Bruno ou Terre exotique. Des entreprises comme MadÉpices et TAF commercialisent le poivre sauvage sur le marché local, en petite quantité. On en trouve dans les centres urbains, surtout dans les boutiques touristiques. Sur le territoire malgache, le poivre sauvage est donc destiné à un échantillon spécifique de consommateurs. Il existe aussi des ventes en tas, sur les marchés de la capitale notamment. Mais la population locale n’est en général pas encore très familière à l’utilisation de ce produit. C’est un produit assez méconnu et réservé à une clientèle particulière. Raison pour laquelle les analystes estiment que les perspectives de la filière poivre sauvage sont étroitement liées à la capacité du produit à creuser davantage le marché étranger. Les entreprises s’approvisionnent sur les marchés locaux, auprès des collecteurs et des sous-collecteurs qu’ils ont embauchés. Les exportateurs tendent à fidéliser ces partenaires, et ne traitent qu’avec eux d’une année sur l’autre. Les collecteurs approvisionnent généralement leurs clients en frais. Sur demande, ils pratiquent parfois le séchage des lots. Ce dernier peut également être pratiqué par besoin de stockage, pour des raisons de spéculation, ou encore, afin d’augmenter leur marge. Ils ont dans ce cas été formés au préalable par les exportateurs au séchage et au tri. En frais, le poivre est vendu aux alentours de 4000 ariary le kilogramme. Séché, le prix peut dépasser les 25 000 ariary. Une ristourne par kilogramme est payée à la commune où a lieu le marché d’approvisionnement. De leur côté, les exportateurs et distributeurs sont basés essentiellement dans les grandes villes, notamment Antananarivo et Toamasina. Dans la capitale de l’Est, le Centre Technique Horticole de Tamatave (CTHT), SOPRAL et Jacarandas ont présentés parmi les principaux clients. Ils représenteraient plus de 50 % des produits exportés. Dans les boutiques locales, le produit peut être vendu jusqu’à 80 000 ariary le coffret. Quant aux transporteurs, ce sont surtout les taxi-brousse et les camions transportant d’autres produits qui acheminent le produit jusqu’aux villes exportatrices. Ils perçoivent entre 500 et 1000 ariary par kilogramme. Le prix étant fonction des relations qu’entretiennent le chauffeur et le collecteur.

Qualité du Tsiperifery - À chacun ses critères

S’il est indéniable que le poivre sauvage bénéficie d’une certaine notoriété sur le marché international, il est aussi reconnu que l’enthousiasme autour du produit s’explique par sa rareté sur le marché, et l’exotisme qu’il évoque dans l’imaginaire du consommateur. Quant à ses qualités organoleptiques, elles n’ont été évaluées que de manière empirique, néanmoins elles sont reconnues. Selon les agents commerciaux de la filière, il existe différents gradients de qualité (bonne, moyenne ou mauvaise). Ils s’appuient surtout sur la couleur, la texture et la taille des grains pour l’évaluer. Les informations disponibles sur les critères de qualité à l’achat sont contradictoires. Certains soutiennent que la qualité globale du lot joue un rôle majeur lors de la négociation des prix. Sur les marchés locaux, tout s’achète au même prix. Compte tenu des enquêtes réalisées par les études effectuées sur la filière, il apparaît que les exigences de qualité diffèrent selon les zones considérées, les demandes des exportateurs qu’ils communiquent à leur réseau de collecteurs. Certains valorisent le poivre de différents calibres et couleurs en créant différentes gammes, et d’autres honorent les exigences de leurs clients qui veulent un produit d’une qualité précise (échaudé ou non, de gros ou petit calibre…). Les exportateurs classent le poivre selon des critères subjectifs, déterminant de qualité, afin de pouvoir commercialiser la totalité des lots et de valoriser les grappes de différents calibres, couleurs…qu’ils reçoivent. Pour les produits transformés sur place par les collecteurs, la formation s’avère indispensable afin d’obtenir un poivre de qualité. Pour certains collecteurs, les techniques de transformations ne sont pas maîtrisées (des temps de séchage insuffisants, des stockages trop longs en frais), le matériel n’est pas toujours adapté et les conditions sont parfois non favorables à un poivre sauvage de qualité sanitaire optimale. Mais, globalement, les opérateurs de la filière travaillent à améliorer la chaine de valeur pour préserver la notoriété du produit.

VERBATIM

Pr Hanitra Andrianoelisoa, Directeur du Département de recherche forestière et de gestion des ressources du FOFIFA « La disparition du poivre sauvage de Madagascar est à craindre en raison de son engouement et de son exploitation ne respectant pas la loi de la nature. En effet, les communautés locales de base cueillent le Tsiperifery  en abattant les lianes, voire, les arbres-support. C’est sur ce constat que nous avons formé les communautés locales de base résidant aux alentours des forêts comme à Anjozorobe qui sont regroupées au sein des coopératives, en matière de technique de collecte du poivre sauvage. Ce qui permettra de préserver la filière et d’obtenir un rendement plus élevé ».     Corenthin Chassouant, Agronome et Directeur des Ventes chez Harnois Industries. « Le poivre sauvage de voatsiperifery est assez facilement reconnaissable à sa petite queue. Cette variété de poivre (Piper borbonense) pousse à l’état sauvage dans la forêt tropicale du sud-est de Madagascar. La couleur du poivre est rouge et peut varier en fonction de la durée et du type de séchage post-récolte. Le goût du poivre sauvage est différent de celui du Piper nigrum par ses arômes de fleurs, de bois et d’agrumes. En conclusion, son arôme est floral boisé. Ce poivre ne se trouve qu’à l’état sauvage, il est cueilli à la main, c’est une épice rare et précieuse ».
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