À l’Ouest, lutte serrée entre deux candidats


D ans le cadre de la première élection organisée à Madagascar en 1921, pour choisir les deux délégués au Conseil supérieur des Colonies, dans la circonscription orientale, la situation est nette avec deux candidats, Sescau et Beaurin. Tous deux sont Parisiens, l’un celui des colons et du ministère et l’autre, un homme d’affaires et journaliste bien en cour. À l’Ouest, la situation semble plus floue, estime M. Gontard, magistrat. Il s’y trouve d’abord deux candidatures de même tendance. Dans une réunion organisée le 24 février, après avoir constitué un comité électoral, « des électeurs de Majunga proclament la candidature d’Adrien Artaud », député des Bouches-du-Rhône et président de la Chambre de commerce de Marseille. Cette proposition n’aboutit pas, d’autant qu’Artaud lui-même annonce qu’il se désiste en faveur de son collègue Boussenot. Les colons sollicitent alors Bleusez, président de la Chambre de commerce de Nosy Be, président du Syndicat des agriculteurs et éleveurs de Madagascar, qui a vingt-trois ans de séjour dans la Grande île. Deux autres candidats se déclarent : Henri Mager qui a été délégué à l’ancien Conseil supérieur des Colonies, le 24 avril 1892, est présenté par les Français d’Antsirabe ; et le Pr Étienne Richet, qui est titulaire depuis 1913 de la chaire de géographie coloniale au collège des Sciences sociales où il a « parlé récemment des richesses naturelles de Madagascar ». En fait, les deux candidatures ont peu de chance de l’emporter. Mager qui est venu une fois dans la Colonie en septembre 1894, est « très » oublié. « On le croyait mort. Il aura pour lui quelques fossiles du temps de la conquête ; mais ceux-là sont plutôt clairsemés », lit-on dans le journal « Action coloniale » du 30 mars 1921. Pour Richet, « notre Arago colonial », le « gros Richet qui fume des cigares longs comme ça », sa candidature, selon Gontard, manque de fermeté. Il dit lui-même aux électeurs : « Si parmi mes honorables concurrents, vous en connaissez un qui puisse remplir… avec plus d’efficacité que moi son rôle de mandataire, n’hésitez pas à reléguer l’amitié au second plan et à faire bloc sur son nom. » De plus, dans la circonscription Ouest, malgré le nombre élevé des candidats, « la lutte va se circonscrire entre le candidat local soutenu par les colons et le candidat d’inspiration parisienne qui faisait plus ou moins figure de candidat officiel ». Sur tout le territoire, la campagne électorale ne manque pas d’une certaine vivacité malgré l’éloignement de presque tous les candidats. « Elle s’effectue par voie de tracts, de circulaires adressées aux électeurs, d’articles de presse qui publient le curriculum vitae, la profession de foi et les mérites du candidat qu’ils soutiennent et s’en prennent à l’adversaire. » La polémique est relativement modérée dans la circonscription Ouest. Les journaux locaux (« Phare » et « Petites Affiches de Majunga », « Sémaphore » de Diego) soutiennent Bleusez, mais leur rayonnement est limité. Boussenot a pour lui son nom, sa réputation d’homme habile et dévoué, sa fonction de parlementaire, les importantes colonies réunionnaises de Mahajanga et surtout d’Antsiranana. Dans la circonscription Est, notamment dans les deux plus grands centres, surtout la capitale, la lutte est plus ardente. La presse se divise. La « Tribune de Madagascar » et le « Tamatave » se prononcent pour Beaurin. « L’Indépendant » est pour Sescau. On s’invective d’un jour à l’autre. «L’Indépendant » veut « un des nôtres » comme délégué, « un homme qui n’appartient à aucun clan, à aucune coterie », qui « aime » le pays, qui connaît bien « les besoins d’une colonie dans laquelle il a vécu si longtemps ». Le « Tamatave » réplique. Le candidat colon « peut être rempli de bonne volonté », mais on se demande « si, avec son zèle intempestif, impuissant et maladroit, il n’achèvera pas de nous compromettre là-bas ». Quant à « l’amour » de la Colonie, « que nous importe ! » « Quand nous engageons un employé, nous examinons tout d’abord s’il viendra à bout de la tâche que nous lui donnerons ; nous n’allons pas voir s’il est pénétré d’affection pour nous ! »
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