Pyromanie culturelle


Hanta, un ouvrier qui travaillait dans une cave de Prague se suicida en se jetant dans le four qui réduisait en cendres les livres et les documents censurés. Depuis trente-cinq ans, Hanta est celui qui livre aux flammes ces écrits interdits. Mais avant leur irrévocable destruction, les livres sont lus par leur bourreau qui amenuise la productivité. Les autorités décidèrent alors de le mettre à la retraite poussant celui qui a pris goût à la compagnie des livres à mettre fin à ses jours. Cette histoire est racontée dans le court roman Une trop bruyante solitude (B. Hrabal, 1976). Un récit qui, récemment, est revenu dans les méditations inspirées par un événement brûlant. Il y a une semaine, les images montrant le musée national du Brésil consumé par le feu ont fait le tour du monde. Des trésors de l’humanité sont à jamais perdus pour ne citer qu’une fresque de Pompéi, le trône du roi Adandozan,… des artefacts qui se sont ajoutés à la longue liste des trésors sacrifiés sur l’autel de l’ignorance. À une autre époque, le monde a pleuré la bibliothèque d’Alexandrie incendiée par le fanatisme religieux. L’histoire a alors retenu la sentence du calife Omar : « Jette-les (les livres) à l'eau. Si leur contenu indique la bonne voie, Dieu nous a donné une direction meilleure. S'il indique la voie de l'égarement, Dieu nous en a préservés. » Était-il alors conscient à ce moment-là que, par cet acte, il a modifié le cap de l’histoire de la philosophie en nous privant de joyaux de la littérature et de la pensée antiques ? Nous condamnant à nous contenter de fragments, de citations des présocratiques comme Pythagore ou Démocrite, des extraits des livres des sophistes non utilisés à leur avantage par Platon, un de leurs plus farouches adversaires : c’est un peu comme si Booba se servait, pour descendre en flamme son rival Kaaris, des propres textes de ce dernier. On est encore loin d’en avoir fini avec la capacité de nuisance de la bêtise humaine. Cette même bêtise qui a soufflé à Érostrate, le fou qui aspirait à la célébrité, l’idée qui le rendra inoubliable: mettre le feu au Temple d’Artémis à Éphèse, une des Sept Merveilles du monde. Il a réussi son coup car comme le résume le recueil de nouvelles Le mur (J.-P. Sartre, 1939) : « — Je le connais votre type, me dit-il. Il s'appelle Érostrate. Il voulait devenir illustre et il n'a rien trouvé de mieux que de brûler le temple d'Éphèse, une des Sept Merveilles du monde. — Et comment s'appelait l'architecte de ce temple ? — Je ne me rappelle plus, confessa-t-il, je crois même qu'on ne sait pas son nom. — Vraiment ? Et vous vous rappelez le nom d'Érostrate ? Vous voyez qu'il n'avait pas fait un si mauvais calcul. ». En pleine Seconde Guerre mondiale et alors que les Nazis poursuivaient leur offensive, un conseiller de Winston Churchill aurait demandé à ce qu’on réduise le budget alloué à la culture pour renforcer l'effort de guerre. Le Premier ministre britannique lui aurait alors répondu : « Mais alors pourquoi nous battons-nous ? » La culture est un trésor à protéger à tout prix même en temps difficiles. Surtout quand les temps sont difficiles, quand les circonstances font le nid de la crise identitaire. Quand on prend le chemin de l’oubli de soi, la défense du patrimoine, dépositaire de cette identité perdue, est plus que pertinente. On m'a raconté que l’incendie du Rova d’Antananarivo a suscité un émoi national. N'étant pas encore en âge de raisonner au moment où ce sujet a enflammé les médias de l’époque, je ne suis pas habilité à certifier cette affirmation. Mais notre patrimoine est la victime de cette pyromanie culturelle qui, tel un cancer d’envergure nationale, nous tue à petits feux. Les rova périssent à tour de rôle dans l'indifférence générale. Revenons à l'histoire de Hanta. Notre pays ne livre certes pas les livres au feu, notre patrimoine littéraire est pourtant brûlé par le feu destructeur de l'oubli attisé par les vices de la politique culturelle. En cours de malgache, on nous apprend les noms des grands auteurs nationaux, on connait les titres de leurs œuvres qui sont introuvables, l'enseignant ne nous incite même pas à les lire. L’engouement populaire autour de la réédition des oeuvres d'E.D Andriamalala devrait donner des idées au ministère de la culture. Par Fenitra Ratefiarivony
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