Eiffel à Majunga


(Mahajanga selon la nomenclature officielle), mais Majunga pour les intimes, n’est pas qu’une destination de température clémente pour les grandes vacances d’hiver. Ce mardi 8 août 2023, 17 photos en 3m x 2m de la Tour Eiffel, choisies parmi les 365 prises quotidiennement, entre le 31 décembre 1998 et le 1er janvier 2000, par le photographe Jean-Paul Lubliner, étaient exposées au Baobab Tree Hotel de Majunga. Ce «voyage immobile», qui avait déjà fait escale sur la Grande Muraille de Chine (2005), lui valut le Fuji Film photo Award. En cette année 2023 de commémoration de la mort de Gustave Eiffel (15 décembre 1832 - 27 décembre 1923), Jean-Paul Lubliner, également architecte DPLG, a convaincu le Gouverneur de la Région Boeny d’adhérer à son projet de sauver une «Maison Eiffel» qui tombait doucement, mais sûrement, en ruines. L’Express de Madagascar (11 juillet 2011) avait signalé la visite qu’y avait effectuée l’ambassadeur de France de l’époque, Jean-Marc Chataigner. À l’époque, l’association des Amis du Patrimoine de la Maison Eiffel (AAPME) avait fait estimer les travaux nécessaires à sa rénovation à 300.000 euros. Douze ans après, la démarche interpelle sur la place (ou l’absence) de la bourgeoisie nationale dans le mécenat culturel. À Majunga, les promoteurs vont s’atteler à «trouver des partenaires financiers étrangers et/ou locaux pour réaliser la sauvegarde de ce bâtiment, patrimoine historique architectural d’inspiration Eiffel». Un exemple venu d’ailleurs, celui de la «Maison de fer» à Poissy, peut donner une idée ou servir d’émulation: subvention Région île-de-France + dotation du département des Yvelines + fonds de dotation mis en place par la ville de Poissy + souscriptions publiques. Cette Maison Eiffel de Mangarivotra, construite en 1898, est prévue être déplacée vers un écrin de premier plan, à proximité d’une autre célébrité incontournable de la ville de Majunga, le grand baobab. Une fois reconstruite à l’identique dans le jardin de la Région, elle sera dédiée à la visibilité des Arts et Techniques. À ce titre, si le viaduc du Garabit (France, 1884) est bien connu, le pont Eiffel à Cubzac-les-ponts (France, 1879-1883) l’est moins : Gustave Eiffel y aurait inauguré la méthode de construction par lançage : «sur une partie de la poutre du pont, on accroche en porte-à-faux les pièces en fer qui y font suite et, une fois qu’elles sont rivées, on s’en sert comme de nouveaux points d’appui pour boulonner les pièces suivantes». Et ainsi de suite pour construire un tablier d’une longueur de 552,40 m sur 8m de largeur. Tout le monde connaît la Tour Eiffel: construite en deux ans et deux mois. Et depuis, on prête beaucoup à Gustave Eiffel. Et, certes, il a énormément réalisé: dès 1876, le viaduc de Porto (Portugal), la poste centrale de Saïgon (Vietnam), la gare de Pest (Hongrie), la coupole de l’Observatoire de Nice (France), le squelette métallique de la statue de la Liberté (États-Unis)... N’empêche, on lui prête trop. Comme d’autres ouvrages métalliques qu’on doit à un Belge, Joseph Danly (1839-1899), ingénieur des mines. Ainsi, la «Maison de fer» de Poissy (1, chemin de la Maladrerie, Yvelines, Région île-de-France) n’est pas une maison Eiffel. Sa fiche au Ministère français de la Culture constate le malentendu sans nécessairement y remédier: «maison métallique ou Maison Eiffel» lui semble consacrée comme «appellation d’usage» et «titre courant». Joseph Danly était le propriétaire des Forges d’Aiseau (créées le 14 août 1885 en Belgique) qui deviendront la maison-mère des Forges et Fonderies d’Haumont (France). Cet ingénieur est l’inventeur d’un procédé breveté en Belgique en juillet 1885: «la construction de bâtiments en tôles embouties». Un second brevet de perfectionnement est déposé en 1887 après les déboires de la «boîte en métal» de l’exposition universelle d’Anvers. Le «procédé Danly» permet la construction de maisons entièrement métalliques, de l’ossature à la toiture. Les panneaux sont emboutis à l’aide d’une presse suivant une matrice donnant la forme extérieure de la pièce ; le panneau ainsi obtenu est ensuite galvanisé ; les tôles sont boulonnées entre elles sur un fer plat et maintenues par des agrafes sur une ossature métallique qui fait office de structure porteuse. Les plaques de fer embouti sont de tailles différentes, mais toutes multiples d’un même module, la matrice. Ce qui leur donnera cette «signature» caractéristique, évoquant la carapace de notre tortue radiata. Construite en 1896, la maison de Poissy était inscrite à l’inventaire des monuments historiques depuis le 1er août 1975. Objet d’une campagne photographique menée par l’Inventaire en 1978, elle sera acquise par l’État français par expropriation pour construire l’autoroute A14 en 1981. Ses façades bénéficieront d’un relevé effectué pour le compte de la DRAC par le cabinet Jean & Claude Prouvé en 1983. Elle sera finalement abattue par la tempête de 1999. Mais, le 5 mai 2011 se créait l’association des Amis de la Maison de Fer : son action aboutit, en 2016, par l’acquisition des ruines par la ville de Poissy, pour un euro symbolique. Les murs et la toiture (dont le métal provient des Forges et Fonderies d’Haumont) ont été démontés pièce par pièce. Moins de la moitié des éléments put être sauvée (mais 64% de l’ossature), et les parties manquantes durent être reconstituées à l’identique. Les lycées professionnels spécialisés dans les filières de la chaudronnerie furent associés à la fabrication des 316 tôles manquantes. La pose de la première pierre eut lieu le 14 décembre 2018, et l’inauguration intervint le 19 septembre 2020, juste retardée à cause du Covid. À Poissy, si les murs extérieurs arboraient la carapace caractéristique, les murs intérieurs étaient en plâtre. Entre les panneaux métalliques extérieurs et cette paroi en plâtre existait un vide de 20 cm. Cette «climatisation» dut manquer à l’autre «Maison de fer» à Maputo (Mozambique) : destinée au Gouverneur colonial, qui n’aurait jamais habité dans cette étuve sous climat tropical. Pourtant, le procédé Danly prospéra au Brésil, au Chili, au Mexique. À Boma (au Congo-Kinshasa qui était alors le Congo belge), une «église de fer» existe depuis le 2 septembre 1886. La restauration de la «maison Danly» de Poissy, fut le lauréat des Trophées Eiffel 2021. Parce que tout ce qui est métallique n’est pas Eiffel. Mais la célébrité mondiale du «générique» Eiffel nous aura permis cette digression de culture générale. En attendant d’identifier ailleurs à Madagascar, d’autres constructions Eiffel: le phare de Katsepy, le pont du Kamoro, la charpente des Grands Magasins de Madagascar à Antaninarenina... Mais, alors, l’ossature métallique de la coupole du palais d’Andafiavaratra ? 1872, c’était bien avant la renommée des Danly et autre Eiffel...
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