Il faut détrôner sa majesté indiscipline


Si le président de la République déclare et affirme urbi et orbi sa ferme volonté de terrasser l’épidémie, ces mots (rien que des mots?) sont eux-mêmes étouffés par la terreur dont la portée est amplifiée par l’exposition médiatique des chiffres. Que ces mots aient été ou non dits sans mauvaise foi, la volonté d’en finir, aussi grande soit-elle, peut rester vaine: comment l’archer, pour reprendre une leçon stoïcienne, pourrait-il atteindre la cible, pourtant bien visée, si l’environnement (la force du vent, …) contrarie cette fin? Comment juguler, le plus tôt possible, la propagation d’un virus dans un contexte où règne une atavique indiscipline générale. L’impertinent bain de foule du chef de l’État, dont le buzz a mis en verve l’opposition, n’était pourtant qu’un exemple (un simple exemplaire parmi les centaines d’endroits encombrés au quotidien), un simple rouage de cette machine infernale qui, depuis la succession des différentes Républiques, ne cesse de gagner en puissance : le destructeur qui tire sur nous des balles d’insalubrité, d’embouteillages, de maladies, et qu’on connaît tous sous le nom d’indiscipline. Le bon sens, qu’on possède tous selon Descartes, nous dirait que le combat contre l’épidémie qui nous opprime est tout sauf conciliable avec cette vénération extrême de l’indiscipline. Le bon sens nous inviterait à changer de maître. Mais qui l'écoute encore, quand sa voix est étranglée par nos pulsions égoïstes. Du haut de son trône, l’indiscipline jouit d’une domination démesurée. C’est sa loi qui éclipse celles écrites qui peinent à être appliquées. Comme signe de soumission à sa volonté, tout l’espace public est perçu comme un immense dépotoir ou une vespa­sienne géante où s’amoncellent déchets et masques usagés porteurs potentiels de virus; où atterrissent les crachats, fameux et principaux vecteurs de l’ennemi invisible qui accapare l’attention médiatique mondiale… Le combat est difficile quand sa majesté indiscipline, en personne, est l’allié de l’ennemi. Un nécessaire crime de lèse-majesté contre l’indiscipline générale se trouve sur le chemin de la guérison de beaucoup de maux. Le confinement aurait pu être une occasion d’instaurer, si nécessaire, la dictature de la discipline. Pour Michel Foucault, qui se référait aux épidémies de peste de la fin du XVIIe siècle, la quarantaine est que « chaque individu est constamment repéré, examiné et distribué entre les vivants, les malades et les morts - tout cela constitue un modèle compact du dispositif discipli­naire. » (Surveiller et Punir, 1975) et faire pénétrer le règlement « jusque dans les plus fins détails de l’existence ». Et « Derrière les dispositifs disciplinaires, écrit toujours Foucault, se lit la hantise des « contagions », de la peste, des révoltes, des crimes, du vagabondage, des désertions, des gens qui apparaissent et disparaissent, vivent et meurent dans le désordre. » Nécessité aussi de trancher le nœud gordien de la sempiternelle question de l’amélioration de l’instruction. Nul ne fait le mal volontairement selon Socrate: c’est l’ignorance, selon cette opinion (naïve?), qui est la mère de tous les maux. Celui qui agit mal ne sait pas ce qu’il fait, et la connais­sance devrait le libérer de ses mauvaises actions. Mais comme l’instruction est malade, c’est le pays tout entier qui souffre du règne de l’indiscipline qui, à son tour, détruit et gangrène ce qui reste de l’école. Le premier cercle vicieux à briser.
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