Eka, tombe!


Samedi matin devant une des pharmacies, il y a foule. Une longue file indienne sur des dizaines de mètres patiente. Il faut attendre plus de trente minutes pour pouvoir être servi. La fatigue se lit sur les visages des pharmaciens qui malgré tout essayent de garder la bonne humeur. Le travail est quintuplé confient-ils. Le nombre de clients a explosé, les heures de travail s’enchaînent mais surtout, la pression psycholo­gique est insoutenable. Ils ont peur. Peur car ceux qui viennent sont potentiellement malades ou en contact avec des personnes malades. Pourtant, les mesures de protection ne sont jamais sûres à cent pour cent. Mises à part les tâches quotidiennes du pharmacien, ils jouent aussi le rôle de médecin. La grande majorité de ceux qui viennent acheter des médicaments s’automédiquent. Chacun essaie de se protéger autant bien que mal. Entre les médicaments qui ne concordent pas, les posolo­gies, les quantités, nos pharmaciens deviennent les derniers remparts entre nous et le suicide médical inconscient et collectif. Vendredi matin, huit heures cinquante devant un Centre de Santé de Base niveau II (CSB II) en plein centre-ville. La même scène se répète: une longue file. Sur les visages et sur le corps, on peut lire la fatigue, la tension, les appréhensions. Pourtant, ce CSB II est normalement calme. La seconde vague de Covid-19 est bel et bien là. Quelles sont les raisons qui poussent les gens à l’automédication dans un contexte sanitaire qui requiert pourtant la plus haute vigilance. Est-ce que les gens n’ont plus les moyens pour aller consulter un médecin? Est-ce qu’ils auraient peur d’aller chez le médecin en pensant qu’ils pourraient être en contact avec des malades de la Covid-19? Est-ce que les gens ne font plus confiance? Est-ce que les centres de santé n’arri­vent plus à suivre le nombre de consultations? Tant de questions qui méritent d’être répondues. En attendant, c’est l’Eka, tombe! Sur les réseaux sociaux défilent les annonces de décès. Tous les âges y passent. Ici ce père qui déplore sa fille partie si tôt. Là une jeune femme devenue veuve à sa trentaine. Un père de famille qui perd sa femme enceinte de son deuxième enfant. Une famille pleure son grand-père, sa grand-mère, la tante tant aimée, l’oncle super cool, le petit-cousin, etc. Covid? Pas Covid? Qui sait… En tout cas, aucune épidémie de peste, de choléra n’a fait autant de victimes. Qu’aucun ne vienne avancer la théorie que ce carnage ne survient que dans le microcosme des Facebookers. Car si Facebook n’est que les six pourcents des Malgaches, par projection combien de mort y a-t-il dans toute la population? La réponse sera sans ambiguïté: Eka, tombe ! Si ceux qui peuvent se payer une connexion internet, des moyens pour se procurer ne serait ce que les soins basiques tombent comme des mouches, on peut deviner ce qui se passe là où le corps est mal nourri et où les conditions de vie ne permettent même pas les gestes barrières. Qu’on ne vienne pas non plus dire que c’est une maladie qui tue seulement les riches et que les pauvres ont une plus grande immunité. La grande différence, soyons honnête, est que les miséreux meurent dans le silence total sans avoir pu aller se faire soigner dans les centres de santé. La Covid-19 touche tout le monde. Certains ont le privilège et le luxe de se faire soigner dans des hôpitaux bien équipés ou à l’extérieur après un EVASAN, d’autres meurent dans les maisons en bois sans avoir vu aucun médecin. Eka, tombe!
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