Francis Razafiarison - « En 20 ans de léthargie, l’OMDA a besoin d’un nouveau souffle »


Interview du Président du Conseil d’Administration de l’Office Malagasy des Droits d’Auteur (OMDA), Francis Razafiarison non moins directeur général de la Culture du ministère de la Communication et de la culture. L’Express de Madagascar : Le 2 février 2022,le conseil des ministres a abrogé le décret de nomination du Directeur de l’OMDA, Haja Ranjarivo. Cependant, des voix commencent à s’élever pour contester ladite décision. Peut-on savoir de quoi il retourne, monsieur le PCA en exercice de l’OMDA ? PCA : D’emblée, permettez-moi de souligner qu' à aucun moment dans l’histoire des actes pris en conseil des ministres sous la diligence du président de la République, si je me souviens bien, aucune décision d’abrogation comme celle du directeur sortant de l’OMDA n’a fait l’objet de tapage médiatique que ce soit dans les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux, alors que l’abrogation d’un haut employé de l’État est quelque chose de très courant à chaque conseil des ministres tous les mercredis. Dès lors, pour éclairer la lanterne et ne pas induire en erreur l’opinion publique, je me dois de mettre les points sur le « i » au nom du ministère de la Communication et de la culture (MCC). En effet, il est de plus normal qu’un haut cadre de l’État comme le désormais ancien directeur de l’OMDA, lequel a été nommé à cette fonction par un décret pris en conseil des ministres, s'attende un jour ou l’autre à être abrogé par le même conseil. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre l’abrogation de l’ancien directeur, qui, je le rappelle, avait été à ce poste depuis 20 longues années. L’EM : Mais cela n’est-il pas contradictoire de le remercier après une vingtaine d’années de services à la tête de l’OMDA ? S’il a pu rester aussi longtemps à son poste, c’est qu’il a dû faire beaucoup pour l’organisme et les membres ? PCA : Je ne me permets pas de fustiger qui que ce soit, ici aujourd’hui, mais je ne sais pas si vous êtes déjà passé dans les locaux de l’OMDA sis à Antaninandro, vous auriez déjà une idée de ce qui n’a pas été fait justement en 20 ans. Si même le bâtiment qui lui sert de bureaux n’a jamais fait l’objet d’une quelconque rénovation en 20 ans, comment peut-on objectivement penser qu’il y a eu une bonne gestion de l’office? Sans parler des doléances régulières que nous recevons des membres qui se plaignent de l’opacité la plus totale dans la répartition des redevances d’auteurs et des droits voisins. Et puis de manière très objective, depuis belle lurette, rien n’a bougé, rien n’a été renouvelé du point de vue gestion,rien n’a été entrepris pour moderniser le système, et pour donner satisfaction au plus grand nombre des bénéficiaires de l’OMDA. Sauf peut-être à une poignée d’artistes de renommée qui a su bien ménager l’hôte de la « maison», lesquels semblent aujourd’hui lui renvoyer l’ascenseur pour « ses » bons et loyaux services à l’endroit de ceux-ci. Après tant d’années,n’importe quel responsable atteint une certaine limite, sinon une limite certaine et ne peut plus donner un nouveau souffle à l’organisme. Vous savez que même la Constitution ne peut pas permettre à un président de la République d’effectuer plus de deux mandats, soit dix ans. Et comment peut-on penser qu’un simple directeur d’un établissement public, nommé en conseil des ministres, donc par le gouvernement puisse rester indéfiniment à son poste? À moins bien entendu que l’OMDA soit devenu sa propriété privée! EM : Toujours est-il que les artistes qui montent au créneau pour contester cette abrogation insistent sur le fait que l’ancien directeur a une bonne maîtrise de son domaine et qu’ils ont dépensé des centaines de millions pour le former. Et de ce fait, il est très difficile de lui trouver un remplaçant. PCA : Personne n’est irremplaçable et il est tout de même très prétentieux d’affirmer que l’ancien directeur de l’OMDA soit la seule personne dans ce pays à maîtriser les questions des droits d’auteur. Si on devait suivre cette logique, cela signifierait-il que si jamais un jour, ce directeur ne pouvait plus assurer ses fonctions, l’office disparaîtrait avec lui? Le ministère a lancé un appel à candidature pour le poste, attendons de voir ce que cela donnera au lieu de rester figé dans cette affirmation gratuite selon laquelle personne, à part l’ancien directeur, ne pourra assurer les responsabilités dévolues à ce poste. Pour ce qui est de dépenses liées à sa formation, il s’agit de l’argent de l’OMDA même, ce qui n’a rien d’extraordinaire parce qu’il est tout à fait courant de voir des agents de l’État envoyés en formation à l’étranger, pris en charge par l’État lui même. Tous ces agents là peuvent ne plus assure leurs fonctions sans qu’on mette sur le tapis l’argent dépensé pour leurs formations et évoquer une rentabilisation de ces formations en permettant aux agents de s'accrocher à leurs postes. Pourquoi l’ancien directeur de l’OMDA ferait-il exception? À notre connaissance, il n’existe aucun texte qui impose qu’un haut employé de l’État ayant été formé pendant son service à la tête d’un organisme, par l’argent payé par ce même organisme, soit indéboulonnable et doit rester directeur à vie. Vous savez ce qui est bizarre dans cette affaire, c’est que le concerné lui même a déjà fait une déclaration publique acceptant son limogeage en reconnaissant qu’il est resté beaucoup trop longtemps à son poste. Pourquoi certains artistes cherchent-ils à tout prix à le maintenir à ce poste alors que le concerné lui-même a déjà avancé qu’il est prêt à partager son expérience à son successeur si besoin est? EM : Dernière question, que pensez-vous des arguments avancés par ces artistes selon lesquels 90% de l’argent utilisé par l’OMDA appartiennent aux artistes et cela devrait leur donner le droit de nommer qui ils veulent à la tête de l’office? Et surtout que l’État ne devrait avoir rien à voir dans l’OMDA qui doit rester exclusivement une affaire entre les artistes? Dans le monde entier, la fonction de régulation revient toujours à l’Etat. Les droits d’auteur sont toujours gérés par l’administration publique dans n’importe quel pays au monde et Madagascar n’a pas à faire exception. Et puis, prenons ce raisonnement par l’absurde, par exemple pour la CNaPS, ce sont les cotisations des membres qui font fonctionner cet établissement public, les membres de la CNaPS devraient-ils donc aussi nommer le directeur général et l’État devrait-il se désengager de ce domaine de la prévoyance sociale? Cela dit, contrairement à ce qu’ils affirment, l'État par le biais du ministère de la Communication et de la culture a toujours subventionné l’OMDA pour son fonctionnement, du moins depuis l’arrivée de l’équipe actuelle en 2019. Où sont donc allés les milliards que cet office aurait dans ses caisses, tels que claironnés par certains artistes? Nous sommes bien curieux de le savoir, pourquoi ils n’ont pas servi à réhabiliter le bâtiment de l’OMDA, par exemple? Nous ne cesserons pas de pointer du doigt tout le flou autour de la redistribution des redevances d’auteur, raison pour laquelle le ministère veut initier des réformes audacieuses dans ce domaine. Et ces réformes ont été présentées par laministre elle-même lors de la rencontre avec les artistes le 5 mars 2021. Nous ambitionnons de révolutionner l’ensemble du système pour garantir cette répartition juste et équitable. C’est la seule raison qui motive notre décision de nous séparer de notre ancien directeur, sachant qu’au vu de ses résultats à la tête de l’OMDA, il n’est plus apte à assurer la mise en œuvre de ces réformes. Nous prenons acte des revendications faites par les artistes lundi dernier auxquelles nous adhérons entièrement. Les réformes que nous proposons n’en sont d’ailleurs pas loin et nous estimons à juste titre que les artistes dans leur grande majorité aspirent à de vrais changements à la tête de l’OMDA.
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