Harotsilavo Rakotoson - « Le coronavirus, une crise sans précédent »


Harotsilavo Rakotoson, fondateur du mouvement citoyen « Manajary Vahoaka », est connu pour sa pondération et la lucidité de ses analyses. Il nous apporte des preuves supplémentaires dans cette interview exclusive. Votre avis sur la situation politique de cette fin d’année marquée par la tenue controversée des sénatoriales? Je voudrais vous remercier de m’avoir accordé cette interview. Madagascar est en difficulté. Et vous avez bien raison de nous demander de nous exprimer pour essayer de contribuer à l’aider. Nous devons contribuer. Ce n’est que modestement par le débat et la réflexion. Pour revenir à votre question sur la situation politique, c’est le niveau des abstentions dans les consultations récentes qui me semble être le fait marquant de notre période. Le peuple semble se refuser à participer. Il est difficile de deviner ses raisons mais en tout cas, il n’adhère pas à ce qui se passe. Dans ce cadre, la vie politique est réduite à des conflits entre une fraction de l’électorat. Et plus précisément aux protagonistes de la crise de 2009. D’où l’utilisation des méthodes de l’époque mais aussi des alliances de circonstances pour les besoins du moment. En résumé, une atmosphère 2009 mais en version soft. Enfin, il s’agit d’une vie politique sous tutelle internationale. C’est elle qui finance les élections, reconnaît en dernier ressort les vainqueurs, lance des appels pour tel ou tel motif. Et en filigrane, peut brandir la menace ultime: la non-reconnaissance de gouvernement. Pour en venir aux élections sénatoriales, peut-on les organiser avec des communales et municipales à refaire, et sans les représentations régionale et provinciale? Et ceux qui la contestent ont-ils des arguments valables sur le plan constitutionnel pour agir ainsi avec la fin de leur mandat qui approche? Mais par ailleurs, ne pas participer à des élections pour des élus est-elle la bonne attitude à adopter? Et enfin, le nombre réduit de sénateurs, au nom de l’austérité, vous paraît-il logique? Dans ce débat, il est assez difficile de faire abstraction des aspects de compétition entre les diverses factions de 2009.Maintenant, il y a deux principes, la représentativité d’un côté qui a pour but de protéger le plus possible l’authenticité de l’institution, c’est-à-dire faire en sorte que la parole et les décisions de cette institution reflètent au mieux ce que pensent ses électeurs. De l’autre côté, il y a le respect des fins de mandat. Quand on a fini son temps, on a fini son temps. Comme on peut le voir les deux se valent dans un vrai débat démocratique. La Haute Cour Constitutionnelle a décidé de faire respecter le sens des délais aux élus. Je pense qu’il faut l’approuver. Il faut cesser les transitions. Maintenant, comme on l’a évoqué plus haut, la vie politique électorale se déroule dans une atmosphère d’incrédulité - voire d’indifférence - de l’opinion publique. Cela donne donc un aspect artificiel à cette controverse-là. Pour en venir à la décentralisation, la « création » des gouverneurs est-elle légale vis-à-vis des dispositions constitutionnelles régissant les régions? Ce n’est pas dans le texte dans tous les cas. Maintenant, on nous dit que ce serait juste une façon de nommer la même chose. Au lieu de « Chef de Région », ils sont des « Gouverneurs ». La Haute Cour Constitutionnelle a validé cette dernière version et n’a pas censuré le décret. Je pense qu’elle a estimé que l’enjeu était assez limité et ne voulait pas en faire toute une histoire. Mais cela étant, la position de la Haute Cour n’en demeure pas moins une position curieuse. Un décret est un texte d’ordre subordonné dans la pyramide des textes. Au sommet de cette pyramide, il y a la Constitution. Et la dénomination « Chef de Région » est donc de rang constitutionnel et se situe au somme t. Comme le terme Madagasikara. Voilà donc qu’on peut changer les noms de rang constitutionnel par un texte gouvernemental. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’on ne nous change pas Madagasikara par décret. D’ici qu’on se retrouve avec un « Gasi­kara Milay ...». 2020 a été marquée par la crise sanitaire. Quelle est votre analyse de la situation actuelle? C’est l’enjeu actuel de Mada­gasikara. Et je vous réitère vraiment mes remerciements de me permettre de participer à la réflexion collective. La pandémie de Covid-19 ne peut se contrôler à l’heure actuelle que par le confinement. Il semblerait que le vaccin ne sera découvert qu’en fin de premier semestre 2021. Madagasi­kara a d’abord décidé le confinement de la population comme les autres pays du Monde. Puis actuellement, on a décidé un confinement du pays. Nous nous isolons des autres pays et des autres continents. Dans tous les cas donc, nous continuons à nous confiner. L’axe clé d’un confinement est le coût. Que ce confinement reste au niveau de la population ou se situe au niveau du pays. L’actuel confinement du pays vis-à-vis des autres pays a un coût sur nos revenus. Le tourisme qui représente 15% de l’argent qui rentre chez nous est stoppé. Nous exportons très mal aussi parce que les pays qui achètent des produits qui viennent de chez nous sont en difficulté. Le résultat est que nous sommes en récession. Selon les chiffres, on aurait régressé de 3 à 4% avec ce que cela suppose de détresse sociale. Quelle est votre appréciation de la gestion de cette crise par les actuels dirigeants? Et si vous étiez à leur place que feriez-vous? Sincèrement, je ne souhaite pas critiquer qui que ce soit. Non pas par complaisance mais il faut bien reconnaître que c’est une crise sans précédent. Il serait injuste - voire peu digne au vu de ce que vit Madagasikara de se répandre en critiques. Mon avis est qu’il faut se focaliser sur les ressources. Dans une période où l’économie est en récession, il est clair que le secteur privé n’est plus en mesure de supporter les besoins de la population. À titre d’exemple, sauf à le pousser à l’agonie, il ne sera pas en mesure de financer l’Etat par des impôts accrus. Il ne s’agit pas non plus de mettre la Cnaps ou les Caisses d’épargne à genoux. Il s’agit de la retraite des gens ou de leurs épargnes. En résumé, nous n’y arriverons pas par nos propres moyens. Mais la vie continue, les fonctionnaires doivent être payés comme les policiers, les infirmiers etc… Il faut donc que nous fassions appel à la solidarité internationale. C’est-à-dire à des dons internationaux ou des prêts. Il nous faut donc convaincre les bailleurs par nos capacités à bien gérer l’argent de leurs propres contribuables et qu’ils nous donnent ou prêtent. Puis, il est important aussi d’avoir des relations cordiales avec eux. Je pense notamment à la France. Dans le contexte actuel, notre intérêt est de nous entendre avec un pays qui se coltine le fardeau de la politique internationale de l’Europe. Quand aux îles éparses, elles ne vont pas disparaître dans l’océan de suite. Nous avons le temps. À la limite, prenons exemple sur les Chinois qui on t a t tendu 100 ans mais qui ont fini par obtenir Hong Kong. Justement, des opposants et des membres influents de la société civile exigent la transparence sur l’utilisation des aides financières offertes par des bailleurs de fonds pour lutter contre le coronavirus. Vous êtes de leur avis ou les réponses des autorités vous conviennent-elles? Les remarques de la société civile sont absolument justifiées et essentielles. La transparence sur l’utilisation des aides financières des bailleurs est fondamentale si nous voulons continuer à en bénéficier. Surtout dans le contexte actuel où nous ne sommes pas en mesure de trouver des recettes suffisantes par notre économie nationale. Bien gérer ces fonds permet de conserver leur confiance en nous. Pour répondre à votre question, et selon ma compréhension, 444 millions de dollars des partenaires de Madagascar ont été consacrés à la crise sanitaire liée à la Covid-19. 187, 9 millions de dollars de ces aides viennent du Fonds Monétaire International, 170 millions de dollars de la Banque Mondiale, 11,4 millions de dollars de l’Union européenne et 64 millions de dollars de la Banque Africaine de Développement. L’Agence Française pour le Développement a transféré 11, 4 millions de dollars. Je n’ai pas accès à la ventilation de l’usage de ces fonds mais la société civile a raison. Pour que tout ceci soit transparent, il faut que les bailleurs s’expriment et expliquent la manière dont ces fonds ont été ventilés et si l’utilisation a été satisfaisante selon eux. Cela nous permettrait de voir si nous pourrions bénéficier d’une solidarité internationale active pour les mois à venir. Il nous faut trouver des ressources. Que pensez-vous des différentes actions sociales, vatsy tsinjo et tosika fameno, et autre tsena mora, mises en place par les autorités pour aider la population pour faire face aux difficultés créées par la pandémie? Le principe est sans discussion. Il faut aider notre Peuple à traverser la période actuelle. Mais du moment où les autorités ont décidé de tout faire par eux-mêmes et d’une manière médiatisée, l’opération avait peu de chance d’aboutir. Selon ma compréhension, un montant de 20 millions USD a été utilisé pour ces programmes. Et une fois de plus, comme les autorités ont voulu agir tout seul, le seul mécanisme disponible pour eux était un programme situé au niveau du FID. Il s’agit d’un mécanisme de transfert monétaire conditionnel. Ce programme a donc connu un changement brusque d’échelle. On a vu le résultat : des cafouillages sans nom dans les recensements destinés à alimenter les bases de données du FID. Des controverses sans fin, des plaintes au Bianco, des accusations publiques dans tous les sens sur des histoires de carnets des Fokon­tany, j’en passe et des meilleurs. On a même vu des ministres de la République faire eux-mêmes des recensements. Un chaos navrant. Et une perte financière sans aucun doute catastrophique et qui doit être publiquement évaluée puis exposée tout aussi publiquement - par principe de redevabilité. Maintenant, je pense qu’il faut changer de méthode si on veut refaire cette opération. Il faut confier l’exécution à des ONG, la Croix Rouge et autres. Que l’état et les autorités ne s’en mêlent plus. Et il faut aussi limiter au maximum la médiatisation. Les gens sont en difficulté et dans ce contexte, promettre des mannes gratuites dans des shows est une porte ouverte à des saturnales financières.
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