Bemiray - Patrimoine - On reparle du Palais de la Reine


Bemiray de Tom Andriamanoro est consacré exclusivement au site du Rovan’i Manjakamiadana. C’est d’actualité avec l’annonce de la reprise des travaux de reconstruction, annoncée par le Président de la République, Andry Rajoelina, le 27 janvier dernier. Outre une liste, non exhaustive, des personnalités l’ayant visité avant la tragédie du 6 novembre 1995, vous lirez dans un article que Manjakamiadana devait avoir une vocation nationale en devenant un musée de l’histoire de Madagascar. [caption id="attachment_75863" align="alignleft" width="300"] La reconstruction du palais Manjakamiadana a commencé en 2006, après l’incendie du 6 novembre 1995.[/caption] L’annonce a été faite au plus haut niveau de l’État : la restauration du Palais reprendra tantôt, et Manjakamiadana sera fin prêt pour les soixante ans du retour de l’Indépendance, en juin 2020. Les travaux restants concernent le Palais intérieur en bois, car comme disait Koffi Annan, lors de sa visite des lieux au tout début du chantier : « C’était d’abord un édifice de bois, consolidé par la pierre. Maintenant les architectes et les techniciens vont faire le contraire. Ils vont soutenir la pierre d’abord, et restaurer l’édifice en bois ensuite ». Et d’ajouter avec son délicieux accent anglophone : « C’est comme l’histoire de la Bible : les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers ». Une question reste d’actualité, et le sera jusqu’au dernier coup de marteau : faut-il refaire Manjakamiadana en stricte conformité avec ce qu’il était « avant »? À voir de près l’histoire du Rova, le respect de l’antériorité n’a jamais été le souci premier des illustres occupants des lieux, bien au contraire. Depuis qu’Andrianampoinimerina a construit ses Besakana, Mahitsielafanjaka, et autres Manatsaralehibe, chaque souverain s’ingénia à ériger une construction originale appelée à marquer son règne. C’est ainsi que Radama Ier réalisa son Palais d’Argent « Tranovola » sur le modèle des maisons créoles qu’il découvrit à Toamasina. À l’intérieur, les préceptes astrologiques traditionnels étaient abandonnés, avec l’apparition de la notion occidentale « d’appartements du roi », et pour la première fois les portes et les fenêtres furent dotées de vitres. Ranavalona Ière qui avait pris l’appellation de Rabodonandrianampoinimerina n’eut aucun scrupule à le détruire pour le remplacer par un autre à l’intention de son fils. Voulant faire plus beau et plus grand encore que son défunt mari, elle rasa une case d’Andrianampoinimerina, appelée Manjakamiadana, pour construire à sa place un palais à elle qui garda le nom, et fut le plus haut édifice d’Afrique de cette époque. Ranavalona II commit quant à elle un véritable parjure envers les ancêtres en introduisant l’utilisation de la pierre dans l’enceinte du Rova. Mieux, elle viola le sacro-saint axe Sud-Nord en donnant une orientation Est-Ouest au temple royal. Quant à la dernière reine Ranavalona III, c’est dans son pavillon Tsarahafatra, dont les fondations étaient dans une sorte de béton qu’elle apprit sa déchéance. [caption id="attachment_75864" align="alignright" width="300"] Le Président de la République, Andry Rajoelina, a décidé la reprise des travaux pour qu’ils soient terminés avant le 26 juin 2020.[/caption] Il faut aussi savoir ce qu’était le Manjakamiadana d’avant, au-delà de la majesté de ses contours aujourd’hui parfaitement restitués et placés dans la durabilité par la technologie moderne. Jean Laborde, le constructeur du Palais en bois, ne connaissait en réalité rien à ce matériau. C’était un aventurier génial dont la première grosse affaire a été la fourniture de trompettes à un maharajah des Indes. Pour la construction de Manjakamiadana, il n’avait pour tout ouvrage de référence que l’encyclopédie Roret destinée aux bricoleurs. Il a totalement raté ses projections, et ses piliers étaient fichés dans un sol en partie instable comme des tiges d’allumettes, sans relation entre eux. Cela a fait dire à un spécialiste que, même sans l’incendie, Manjakamiadana aurait fini par s’affaisser sur lui-même comme un château de cartes. [caption id="attachment_75865" align="alignleft" width="300"] L’utilisation du béton armé répond aux exigences
de la Charte de Venise, matériaux
devant être dissimuléS par des boiseries. [/caption] Charte de Venise N’en déplaise aussi aux nationalistes à la sensibilité frileuse, la reconstruction de Manjakamiadana n’est pas une simple affaire malgacho-malgache. Deux textes fondamentaux régissent la restauration des monuments historiques dans tous les pays du monde : la Charte d’Athènes de 1931, élaborée lors du premier Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques, et celle de Venise de 1964, également adoptée par le Conseil international des monuments et des sites, ou ICOMOS. En voici quelques extraits : - Les experts ont entendu diverses communications relatives à l’emploi des matériaux modernes pour la consolidation des édifices anciens. - Ils approuvent l’emploi judicieux de toutes les ressources de la technologie moderne, et plus particulièrement du ciment armé. - Ils spécifient que ces moyens confortatifs doivent être dissimulés sauf impossibilité, afin de ne pas altérer l’aspect et le caractère de l’édifice à restaurer. Les travaux effectués jusqu’ici, notamment le recours tant décrié au béton, étaient donc dans les normes, et il appartient maintenant aux continuateurs de le dissimuler derrière les boiseries. Aux dispositions de ces deux Chartes s’ajoutent les règles s’appliquant aux Établissements recevant du public (ERP) dont font partie les musées, et sur lesquelles veille la Socotec. Elles s’appuient sur ces deux maître-mots que sont l’accessibilité et la sécurité, notamment en matière de risques d’incendie, auxquels ne répondait pas du tout « l’ancien » Manjakamiadana. Leurs dispositions insistent tout particulièrement sur les facilités d’intervention et d’évacuation. C’est la raison pour laquelle deux grands escaliers se faisant face ont été ajoutés de part et d’autre de l’entrée principale du palais. Ce domaine de la sécurité s’étend à des questions comme les normes sur les circuits de visite, les équipements tels les systèmes d’alerte, de détection de fumée, de dispersion automatique de poudre anti-feu, en passant par les caméras de surveillance. Un manquement aux règlements sur les ERP est passible d’un rejet de la part des compagnies d’assurances et, par ricochet, d’une interdiction d’ouverture. [caption id="attachment_75866" align="alignright" width="300"] L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan et son épouse Nane (à g.) ont visité le site le 17 mars 2006, avant le début des travaux
de reconstruction.[/caption] Un chapitre insoupçonné du public est celui de l’archéologie. L’article 9 de la Charte de Venise stipule que « toute restauration sera toujours précédée et accompagnée d’une étude archéologique et historique du monument ». Cela a été fait et a réservé des surprises, notamment sous la case royale de Mahitsielafanjaka avec des vestiges que la datation au carbone 14 fait remonter au XIIè siècle, et sous la tour Nord-Est du Palais de la Reine. Dans un entretien avec l’auteur de cette chronique, paru dans le livre Manjakamiadana et le Rova d’Antananarivo, un futur retrouvé, de l’Association Fanarenana ny Rova, le Pr Rafolo Andrianaivoarivony suggère que les vestiges soient laissés à leur place tout en étant bien visibles, grâce à des projecteurs et à la protection d’une plaque de verre comme dans certains grands musées, pour ne citer que le Louvre médiéval. Si la chose se fait, là aussi il s’agira d’une véritable révolution par rapport à l’ancien Palais de la Reine. [caption id="attachment_75867" align="alignleft" width="300"] Le général Charles De Gaulle (en arrière plan) a visité
le Rova le 21 août 1958.[/caption] Rétro pêle-mêle Parmi les personnalités qui ont visité le Rova, on pourra retenir : - En 1948, Georges Duhamel, romancier, membre de l’Académie française - En 1951, François Mitterrand, alors ministre de la France d’Outre-mer - En 1953 et en 1958, le général De Gaulle - En 1954, Sa Majesté Sadi Mohamed Ben Youssouf et son fils, le futur roi Hassan II du Maroc - En 1964, le Président Philibert Tsiranana - En 2006, Koffi Annan, alors secrétaire général des Nations unies - En 2007, le prince Akishito du Japon, et Son Altesse Karim Aga Khan IV.   [caption id="attachment_75870" align="alignleft" width="300"] Le site du Rovan’i Manjakamiadana comprend, entre autres, le temple…[/caption] [caption id="attachment_75871" align="alignright" width="300"] … Mahitsielafanjaka…[/caption] Destinée nationale - Un symbole de l’unité malgache Suzanne Razafy-Andriamihaingo fut le premier conservateur malgache du Rova d’Antananarivo. Elle fut nommée à ce poste en mai 1946 après avoir été pendant quatre ans chargée de mission dans de prestigieux musées de France dont Versailles. Dans son livre Le Rova d’Antananarivo, colline sacrée des souverains de Madagascar, elle livre une réflexion qui a la consonance d’un testament culturel à l’intention des futurs gouvernants d’un Madagascar indépendant : « Qu’ils soient convaincus que le Rova d’Antananarivo, qui demeure un symbole, ne l’est pas exclusivement de l’histoire de l’Imerina. C’est aussi, et avant tout désormais, le patrimoine national de l’île entière, quintessence du génie malgache. Pourquoi ne serait-il pas envisageable de consacrer des salles aux autres régions, aux personnages importants qui ont fait notre histoire commune ? Cette association doit se faire dans l’esprit d’une reconstitution historique vraie et sans concession. Il est temps que ce Rova d’Antananarivo soit regardé comme le symbole de l’unité malgache en se transformant en un vaste musée de l’histoire de Madagascar. Au sortir de la salle du Trône, cette réflexion me hante toujours et je suis convaincue qu’elle se transformera en réalité ». [caption id="attachment_75869" align="alignleft" width="300"] …Tranovola…[/caption] [caption id="attachment_75872" align="alignright" width="300"] …Manampisoa…[/caption] À la croisée des chemins En ces temps de restauration de Manjakamiadana, le temps est aussi venu de réaliser le souhait de cette dame qui était peut-être citoyenne française administrativement parlant, mais était restée Malgache dans sa chair. Dans les années 40 qui furent nos années de braise, elle s’est battue pour que l’accès au Rova soit ouvert aux « indigènes » comme on les appelait alors, et pas seulement aux « vazaha taratasy ». Et elle a eu gain de cause. Manjakamiadana est à la croisée des chemins, dont l’un peut et doit le mener à une nouvelle raison d’être : celle d’être un véritable musée national dans lequel tous les Malgaches se sentiront concernés. Le regretté Michel Rabariharivelo, qui fut l’architecte maître d’œuvre de la première partie des travaux qui reprendront donc bientôt, alla même plus loin dans l’idée d’élargissement, puisqu’il osa se lancer dans une audacieuse prospective : « Chaque temps nouveau apporte son lot à inscrire dans les mémoires. C’est pourquoi j’imagine déjà un musée tourné non seulement vers ce qui a été, mais aussi vers ce qui sera ». La restauration de Manjakamiadana n’est pas seulement des murs et des parquets à remettre en état. Elle est aussi et avant tout conceptuelle. [caption id="attachment_75873" align="alignleft" width="201"] Couverture du livre
de Suzanne Razafy-Andriamihaingo.[/caption]     [caption id="attachment_75868" align="alignleft" width="300"] …les tombeaux royaux (à g.).[/caption] Insolite - Les non-dits du Palais - Manjakamiadana n’avait pas la vocation d’être un lieu d’habitation avec, entre autres inconvénients, des hauteurs sous plafond atteignant les dix mètres. Il n’était qu’un palais d’apparat, qui ne s’animait que lors du Fandroana ou des grandes fêtes de la Cour. Les reines lui préféraient la chaleur et l’intimité des palais annexes. - On a toujours fait croire que le pilier central Volamahitsy était un seul tronc géant. Un levé effectué en 1994 a permis de découvrir qu’il était composé de trois éléments mis bout à bout : un de 23 m hors terre, un autre de 12 m, et un troisième de 6 m. - Le 20 juin 1893, Ranavalona III passa commande de treize caisses de matériel électrique dont des dynamos, des commutateurs, des lampes et des fils. La commande ne lui parvint jamais, peut-être interceptée par le très conservateur Premier ministre, allergique à tout ce qui pourrait menacer l’authenticité et la souveraineté du pays. Lettres sans frontières Là-bas tout est légende Là-bas, tout est légende et tout est féerie. Et l’azur S’anime d’un cristal au ton mythologique. Douce, la vie est douce à l’ombre du vieux mur Qui vit nos grands Aïeux, conducteurs de tribus, Fondateurs de royaumes Parés de leur jeunesse épique, Parés de pagnes bigarrés, Parés de gloire et de clarté comme les astres du Tropique. Là-bas, c’est le soleil ! C’est le bel été, caressant et tragique ! C’est l’homme au cœur plus vrai que l’acier le plus pur ! Et c’est la race enfant, chantante et pacifique Pour avoir vu le jour aux bords harmonieux du Pacifique. Et sur la natte neuve, au milieu des encens et de rares parfums, Ma mère t’apprendra le saint culte des Morts, la prière aux défunts. Et t’apprendront mes sœurs, après le bain du soir et les rondes mystiques, Mes sœurs, Vierges d’Assomboule et filles de devins, T’apprendront le secret des paroles magiques Pour envoûter les cœurs des princes nostalgiques. Et tu l’aimeras, mon pays, Mon pays où le moindre bois s’illumine de prestiges divins ! Et les montagnes et les lacs et les remparts et les ravins, Un fût de pierre sur la route, un fût de pierre, tout est sacré, tout porte l’empreinte Encore vive des pèlerins du Paradis.  
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